STALINE JOSEPH VISSARIONOVITCH DJOUGACHVILI dit (1879-1953)
De tous les grands hommes politiques du xxe siècle, Staline est sans doute celui qui a pesé le plus longtemps sur les affaires mondiales et transformé le plus en profondeur son pays. Churchill et Lénine n'ont exercé une influence majeure que cinq ans durant, Roosevelt et Hitler douze ans, tandis que Staline a, pendant un quart de siècle, influé directement sur le destin non seulement de près de deux cents millions de Soviétiques, mais aussi sur celui d'un nombre presque équivalent d'Européens de la partie centrale et orientale du continent. Rarement homme politique a suscité autant de haine et d'adoration. Dès les années 1930, Staline était devenu un symbole honni pour tous ceux qui combattaient le communisme, qu'ils fussent ses concurrents les plus proches – les fascistes et les nazis – ou, au contraire, qu'ils aient perçu dans « l'homme d'acier » l'incarnation d'un nouvel antihumanisme. Mais Staline fit aussi l'objet d'un formidable culte, d'une passion à la fois révolutionnaire et messianique. Si l'adoration était réservée aux « croyants » communistes, l'admiration pour le « maréchal Staline » était largement répandue parmi les non-communistes ; elle reposait sur la reconnaissance au vainqueur de Stalingrad, qui avait largement contribué à la victoire des Alliés sur la barbarie nazie.
Remarquable stratège et tacticien de la politique, Staline sut parfaitement mettre en adéquation ses moyens avec ses objectifs : s'imposer, dans les cinq ans qui suivirent la disparition de Lénine, comme le khoziain (patron) tout-puissant du Parti communiste ; faire entrer la société soviétique, au prix de terribles sacrifices, dans l'ère industrielle ; construire ce qu'il considérait être le « socialisme » ; accroître la puissance industrielle et militaire de l'U.R.S.S. ; étendre la sphère d'influence soviétique à la moitié de l'Europe. Pour transformer le pays, le faire sortir de son « arriération séculaire », Staline n'hésita pas à mobiliser en permanence la société soviétique contre les « ennemis intérieurs », à engager une véritable guerre contre le monde paysan, profondément réfractaire à la collectivisation des campagnes, et à lancer de vastes opérations meurtrières d'« ingénierie sociale » visant à éradiquer ceux qu'il qualifiait d'« éléments étrangers et socialement nuisibles » : koulaks, « gens du passé » (ce terme désignait toutes les élites, administratives, économiques et politiques de l'ancien régime), membres du clergé, marginaux et autres asociaux furent déportés, envoyés en camp de travail ou exécutés en masse. La société soviétique paya un tribut particulièrement lourd au modèle stalinien de transformation du pays : entre 1930 et 1953, plus d'un million de Soviétiques furent condamnés à mort comme « contre-révolutionnaires » par une juridiction d'exception ; sept millions de Soviétiques furent déportés, plus de quinze millions firent l'expérience des camps de travail du Goulag, six ou sept millions moururent de faim au cours de deux grandes famines (1932-1933 ; 1946-1947).
Comme l'ont confirmé les archives, déclassifiées depuis 1991, le dictateur joua un rôle décisif dans l'élaboration et la mise en œuvre des grandes options politiques, tant sur le plan intérieur (collectivisation forcée des campagnes, industrialisation accélérée, opérations de purges et de terreur) que sur le plan international (virage antifasciste et soutien aux « Fronts populaires » dans les pays de démocratie parlementaire à partir de 1934-1935 ; pacte germano-soviétique en août 1939 ; définition de zones d'influence en Europe en 1944-1945). Les documents aujourd'hui accessibles permettent de mieux identifier la marque personnelle du dictateur dans la gestion de l'U.R.S.S.[...]
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Écrit par
- Nicolas WERTH : directeur de recherche au CNRS
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