LEE STAN (1922-2018)
Stanley Martin Lieber, né à New York le 28 décembre 1922 de parents juifs roumains, avait pour ambition d’être l’auteur du « grand roman américain ». Il ne l’écrivit jamais mais, sous le nom de Stan Lee, donna naissance à la mythologie moderne des super-héros Marvel, devenue en un demi-siècle un des pans les plus dynamiques de la culture de masse américaine.
Entré à dix-sept ans comme grouillot dans la société de Martin Goodman, un cousin par alliance qui publie des périodiques bon marché, le jeune homme devient deux ans plus tard le responsable éditorial de ses revues de bande dessinée publiées sous le label Timely. Les comic books, apparus dans la seconde moitié des années 1930, connaissent alors un boom spectaculaire : l’apparition en 1938 chez DC Comics de Superman a déclenché un engouement dont Goodman saura tirer profit en lançant ses propres super-héros. En 1941, Stan Lee (pseudonyme adopté pour signer les textes qu’il publiait dans les illustrés) se trouve à la tête d’un catalogue prometteur, dont le porte-drapeau – à tous égards – est le patriotique Captain America. Conscrit de 1942 à 1945, Lee passa la guerre sur le sol américain derrière un bureau, sans cesser de fournir des scénarios pour alimenter les revues.
De 1945 à 1972, il assure la direction éditoriale des illustrés Timely au fil de leurs changements de nom : Atlas dans les années 1950, puis Marvel dans les années 1960. Dans un secteur qui ne connaît pas encore les albums à longue durée de vie commerciale, son travail consiste à superviser la réalisation de fascicules aux scénarios uniformément médiocres et aux graphismes inégaux dans un système de production à la chaîne où le statut des auteurs en fait des tâcherons rémunérés à la pièce.
Scénariste et dialoguiste passable, Lee est surtout doué pour repérer des créateurs qui sortent du lot. Quand, en 1961, il est chargé de créer de nouveaux super-héros pour concurrencer ceux qui connaissent une deuxième jeunesse chez DC, il donne carte blanche à ses dessinateurs habituels pour mettre en images des récits d’un genre inédit, mêlant à des intrigues pleines de rebondissements la dimension « humaine » du soap opera et les angoisses collectives de la guerre froide, tantôt sur la base de brefs synopsis, tantôt en laissant toute liberté au graphiste de créer un récit. Deux dessinateurs en particulier vont exceller à cet exercice : du crayon de Jack Kirby sortent notamment les Quatre Fantastiques (1961), Thor (1962), Hulk (1962) et les X-Men (1963), tandis que Steve Ditko imagine Spider-Man (1962) et le magicien Docteur Strange (1963). Autant de personnages tiraillés entre les contingences du quotidien et les dilemmes moraux indissociables de leurs pouvoirs surhumains. Dans les innombrables interviews qui jalonneront sa carrière, Lee prendra l’habitude de se présenter en auteur unique des personnages et séries Marvel, minorant systématiquement la contribution des dessinateurs au processus créatif.
Tout au long des années 1960, Marvel publie un catalogue en expansion permanente où la flamboyance des intrigues le dispute aux névroses des protagonistes. « Stan Lee presents » devient le bandeau ouvrant chaque histoire, alors que se multiplient nouveaux personnages et nouveaux titres pris en charge par un flot continu de jeunes scénaristes et dessinateurs. Comédie humaine de super-héros new-yorkais, le Marvel Universe est aussi un carnaval, avec Stan Lee pour infatigable bateleur : dans ses éditoriaux mensuels comme dans ses nombreuses apparitions publiques, il fait la promotion de ses revues, de ses personnages et de lui-même en s’adressant directement aux lecteurs comme s’ils étaient les membres d’un club exclusif avec qui il partagerait complicité et familiarité. Dans les faits, il consolide ainsi le patrimoine économique de Marvel, constitué grâce à des créateurs qui ont renoncé à toute[...]
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Écrit par
- Jean-Paul GABILLIET : professeur de civilisation américaine, université Bordeaux-Montaigne
Classification
Média
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