WYSPIAŃSKI STANISŁAW (1869-1907)
Spectacle total et théâtre engagé
Wyspiański s'efforce donc de créer des spectacles où le rythme, la vision plastique, l'ambiance musicale comptent autant sinon plus que le verbe ; l'intrigue y est remplacée par l'exposé d'un mythe ou d'un combat d'idées. L'acteur, le décor, le costume, la lumière, la musique constituent l'« orchestre », et l'auteur impose la réalisation scénique plus qu'il ne la propose. Le texte ne s'anime vraiment que sur les planches, lorsqu'il est complété par de grands effets musicaux, plastiques ou gestuels chargés d'un symbolisme violent et efficace. Ainsi, Wyzwolenie (1903, « La Libération »), dont le cadre est le théâtre même de Cracovie, joue constamment sur le symbolisme d'une scène vide que viennent peupler les phantasmes du héros. Dans Akropolis (1904), ce sont les personnages des tapisseries du château royal de Cracovie qui s'animent et jouent des scènes mythologiques et bibliques conduisant à l'identification triomphale, et quasi nietzschéenne, du Christ et d'Apollon. De tels effets sont courants chez Wyspiański dont l'imagination est véritablement hantée par sa ville natale. Toutefois, Wyspiański ne veut ni raconter ni illustrer, seulement mettre l'imagination en branle : les hommes et les dieux, les rêves et les symboles se retrouvent sur le même plan, tandis que le public semble assister à la naissance sinon d'un mythe, du moins d'une image archétypale, jaillissant du fond de la conscience collective. Dessein hardi, dont la réalisation n'est pas toujours également heureuse ; mais nombre d'images et de situations du théâtre de Wyspiański, reprises, jusqu'à nos jours, par des écrivains et des cinéastes, témoignent de l'influence du poète.
Wyspiański se définit lui-même comme « l'esclave d'une seule pensée », et son œuvre est, en effet, une réflexion incessante sur le destin national, ce qui a singulièrement limité son rayonnement. Cette réflexion est dominée par l'idée de la fatalité et par la fascination de l'effort et du sacrifice. L'analyse des deux tragédies « modernes » de Wyspiański, L'Anathème (Klatwa, 1899) et Les Juges (Sŗedziowie, 1907), montre comment le poète construit à partir d'un fait divers, par exemple le suicide d'une femme rejetée par la communauté, un mécanisme inexorable où la malédiction de Yahvé et le remords chrétien ne sont que le travestissement de la destinée, de la μο̃ιρα grecque. De même, dans les grands drames nationaux, le cours des événements semble transcendé par des nécessités mystérieuses : le mythe antique expliquerait l'échec de l'insurrection de 1830 dans Noc listopadowa (1904, « La Nuit de novembre »). On touche ici l'ambiguïté fondamentale de l'œuvre de Wyspiański. Au premier abord, beaucoup de ses pièces semblent des drames de l'impuissance : impuissance du poète dans Legion (1900, « La Légion »), du révolutionnaire dans Wyzwolenie, de la société tout entière dans Les Noces. Mais on y discerne aussi, comme le sentaient ses contemporains, des appels désespérés à l'action, car pour lui les hommes n'accèdent à la dimension du héros tragique qu'en essayant de forcer le destin ; cela apparaît clairement dans les transpositions des mythes antiques : Meleager (1899), Protesilas i Laodamia (1899), Achilleis (1903), Powrót Odyssa (1907, « Le retour d'Ulysse »). Quelques drames historiques, des poèmes épiques et lyriques complètent une œuvre qu'éclairent la curieuse adaptation du Cid (1907) et une étude sur Hamlet (1905), dans laquelle il expose ses idées sur le théâtre.
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Écrit par
- Jón BLONSKI : professeur à l'université de Cracovie
Classification
Autres références
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SCÉNOGRAPHIE
- Écrit par Jean CHOLLET
- 6 524 mots
- 3 médias
La force des pensées théoriques d'Appia et de Craig sera d'une importance capitale pour la mise en scène et la scénographie du xxe siècle. Moins connue, l'œuvre du Polonais Stanisław Wyspiański (1869-1907), parallèlement à sa connotation nationale, s'inscrit elle aussi dans la réforme de la scène...