STATUTS DES JUIFS (1940-1944), France
D'octobre 1940 à la fin de 1942, l'État français adopta et publia au Journal officiel plus d'une centaine de textes juridiques, décrets et lois visant les juifs. En interdisant à ces derniers certaines professions et en les dépouillant d'une partie de leurs biens, les autorités de Vichy contribuaient indiscutablement à les affaiblir et à les marginaliser. Cette politique délibérée (mais rarement revendiquée publiquement) reposait sur un véritable arsenal législatif dont la pièce maîtresse était précisément le statut des juifs. Toute la législation antijuive de Vichy a relevé de ce statut qui, pour la première fois en France, donnait une définition juridique des juifs et détaillait les fonctions et professions qui leur étaient dès lors interdites.
Deux statuts des juifs, rédigés à l'initiative, sous l'autorité et la signature de Philippe Pétain, ont en fait été adoptés dès la première année de « l'État français ». Le premier, daté du 3 octobre 1940 et publié au Journal officiel le 18 octobre 1940, a été élaboré par Raphaël Alibert et Marcel Peyrouton, respectivement titulaires du ministère de la Justice et de l'Intérieur. Le second, qui complète et remplace le précédent, est daté du 2 juin 1941 et publié au J.O. le 14 juin 1941. Il a été conçu par Joseph Barthélemy et Xavier Vallat, respectivement titulaires du ministère de la Justice et du commissariat général aux Questions juives.
Le premier statut des juifs marque sans conteste le point de départ d'un antisémitisme d'État. En France, alors que rien ne distinguait les juifs des non-juifs, ce statut remet en effet en question, pour la première fois depuis 1791, la place des juifs au sein de la société. L'exposé des motifs qui accompagne sa publication s'efforce d'en justifier la nécessité :
« [...]. Partout, et spécialement dans les services publics, si réelles que soient d'honorables exceptions dont chacun pourrait fournir un exemple, l'influence des juifs s'est fait sentir, insinuante et finalement décomposante. Tous les observateurs s'accordent à constater les effets fâcheux de leur activité au cours des années récentes durant lesquelles ils eurent dans la direction de nos affaires une part prépondérante. Les faits sont là et commandent l'action du gouvernement à qui incombe la tâche pathétique de restauration française. [...] »
Le statut donne tout d'abord une définition juridique du juif :
« Art. 1er. Est regardé comme juif, pour l'application de la présente loi, toute personne issue de trois grands-parents de race juive ou de deux grands-parents de la même race, si son conjoint lui-même est juif. »
Cette définition, largement inspirée de l'Allemagne nazie et de l'Italie fasciste, ne prend évidemment nullement en compte le sentiment personnel d'appartenance (ou de non-appartenance) au judaïsme. En faisant référence à la « race juive » des grands-parents, les autorités françaises se situent de plus bien au-delà de l'antijudaïsme religieux traditionnel. C'est désormais un antisémitisme véritablement « racial » qui imprègne une partie du droit français.
Le statut énumère ensuite (art. 2) les fonctions et professions qui sont dorénavant interdites aux juifs : membres du gouvernement et des administrations centrales, des diverses cours de justice, des préfectures et sous-préfectures, de la police, de l'armée, des corps enseignants...
Pour accéder aux fonctions publiques non mentionnées (art. 3) les juifs doivent nécessairement pouvoir « exciper de l'une des conditions suivantes » :
« a- Être titulaire de la carte de combattant 1914-1918 ou avoir été cité au cours de la campagne 1914-1918 ;
« b- Avoir été cité à l'ordre du jour au cours de la campagne 1939-1940 ;
« c- Être décoré[...]
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Écrit par
- Claude SINGER : chargé de cours à l'université de Paris-I, conseiller au Centre de documentation juive contemporaine, Paris
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