STÈLE DE MÉSHA
Cette stèle de basalte noir (106 × 68 × 36 cm) a été découverte le 19 août 1868 par Frederick Augustus Klein, Alsacien au service de la Christian Missionary Societyanglicane de Jérusalem, alors qu’il était en visite auprès du cheikh de la tribu des Beni Hamideh à Dhibân, à l’est de la mer Morte. Elle comporte les restes de trente-quatre lignes d’une écriture régulière moabite, proche de l’ancien phénicien et de l’ancien hébreu. Identifiée rapidement comme une stèle de Mésha, roi de Moab (ixe s. av. J.-C.), mentionné dans la Bible (II Rois 3,4), elle fut l’objet de rivalités entre l’Allemagne, la France et l’Angleterre dans le contexte des difficultés que connaissait l’Empire ottoman vis-à-vis des Arabes. Par haine du pacha de Naplouse, les Beni Hamideh la brisèrent. La plupart des morceaux furent récupérés par Charles Clermont-Ganneau, orientaliste drogman (interprète) et chancelier du consulat français de Jérusalem. Restaurée avec l’aide d’un estampage réalisé avant la brisure, elle est, depuis 1875, exposée au musée du Louvre parmi les antiquités proche-orientales. Elle constitue le document le plus ancien et le plus important pour l’histoire du sud du Levant et la confrontation entre l’archéologie et la Bible.
Mésha avait érigé cette stèle dans un sanctuaire de sa divinité nationale, Kamosh, appelé « dieu de Moab » dans la Bible. Suivant le style habituel des inscriptions royales commémoratives, le roi célèbre ses victoires à la guerre et ses constructions monumentales. La première partie de l’inscription raconte les victoires de Mésha sur Israël et mentionne le roi Omri (vers 881-874 av. J.-C.), ses descendants, ainsi que la divinité d’Israël, Yahweh (c’est la plus ancienne attestation de ce nom divin). Proclamant qu’« Israël a été anéanti à jamais », Mésha se glorifie d’avoir pris les villes d’Atarot (tribu de Gad), Mêdabâ, Nébo, Yahaz, et d’avoir bâti ou rebâti Baalme‘ôn, Qiryatên, Aroër, Bêt-Bamôt, Bezer, Diblatên, autant de toponymes anciens mentionnés dans la Bible. Au bas de la stèle actuelle commence une seconde partie qui évoque les victoires de Mésha dans le Sud, avec la conquête de la ville de Ḥôronên contre la « maison de David » (fin abîmée de la ligne 31), c’est-à-dire le royaume de Juda. Malheureusement, le reste de l’inscription avait déjà disparu en 1868.
Dès la découverte de la stèle, on avait rapproché cette campagne militaire de Mésha de sa révolte contre Israël à la mort du roi Akhab (vers853 av. J.-C. ; II Rois 1,1) et de l’échec de la campagne israélo-judéenne conduite contre lui par Yoram, fils d’Akhab (vers 850 av. J.-C. ; II Rois 3, 1-27). Cependant, cette guerre et celle relatée dans la stèle peuvent difficilement être identifiées l’une à l’autre. La mention de l’anéantissement d’Israël dans la stèle correspond plutôt à la situation catastrophique d’Israël sous le règne de Yoakhaz (vers 819-803 av. J.-C. ; II Rois 13,7). Les victoires du roi de Moab s’expliquent parce que Mésha était l’allié du grand roi araméen de Damas, Hazaël, qui a dominé un moment tout le Levant (vers 826-805 av. J.-C.). Dans la stèle, les conquêtes de Mésha contre Israël semblent achevées et le roi de Moab a pu mener à bien de nombreuses constructions ou reconstructions, ce qui suggère que l’inscription a été gravée vers la fin d’un long règne, probablement vers 810 av. J.-C.
Outre les informations directes sur l’histoire politique, la religion et l’évolution territoriale des royaumes de Moab, Israël et Juda, cette longue inscription révèle comment on écrivait et utilisait l’écriture pour la propagande royale dans le sud du Levant dans la deuxième moitié du ixe siècle av. J.-C. Cette utilisation a été confirmée par la découverte, en 1993 et 1994, de fragments de[...]
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Écrit par
- André LEMAIRE : directeur d'études honoraire, École pratique des hautes études, correspondant français de l'Académie des inscriptions et belles-lettres
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Média