MALLARMÉ STÉPHANE (1842-1898)
Ce poète a longtemps suscité la raillerie ou la colère : écrire de l'inintelligible est une perversité. Mais il avait su fasciner quelques artistes, parmi les plus grands : Gide, Claudel, Valéry, Gauguin, Debussy. Ils l'ont imposé.
Mallarmé a des fidèles, mais peut-être pas de disciples ; il apparaît d'emblée comme un classique éloigné, admirable, inimitable. Après lui, la poésie française s'oriente vers d'autres voies que la sienne.
Son œuvre, assez mince, fait l'objet de nombreuses exégèses. Les admirateurs fascinés s'efforcent de comprendre, multiplient les commentaires, les clés.
Un grand pas est franchi quand la « modernité » des années 1960 met en avant la notion de « texte », étudie en Mallarmé le théoricien. C'est lui, dit-on, qui a consommé la rupture avec la tradition d'une poésie expressive, d'une littérature de la représentation. On le compare à Joyce, à Nietzsche. On en ferait presque un fournisseur de concepts. Pour un peu, on oublierait qu'il est poète, et même en prose.
Poète fascinant, et lui-même fasciné par la musique. Pourquoi voulait-il que la poésie reprenne à la symphonie son bien ? En cette fin du xixe siècle, la formule a des échos divers, déformés. Peut-être, aujourd'hui encore, n'en a-t-on pas épuisé le sens.
Le poème, un théâtre de rythmes
Mallarmé n'a rien d'un enfant prodige. De ce point de vue comme de beaucoup d'autres, il s'oppose absolument à Rimbaud. On le voit vieilli, frileux, calfeutré dans une chambre avec un plaid sur les épaules. Et cette image s'est tellement bien imposée que l'on oublie un tout petit fait : les anthologies n'ont cessé de reprendre plusieurs des poèmes publiés en 1866 dans le Parnasse contemporain, et notamment L'Azur ou Brise marine. Lorsqu'il les compose, Mallarmé n'a guère plus de vingt ans. On soupçonnera peut-être les faiseurs d'anthologies d'avoir préféré des textes facilement intelligibles. Mais on peut également prendre leur accord pour un indice : la perfection de ces poèmes semble unanimement reconnue. Cette parfaite maîtrise d'un débutant n'est pas un phénomène des plus fréquents.
Il faut mettre en cause l'époque. Le système du vers français n'a pratiquement pas subi de modifications depuis la fin du xvie siècle. La technique poétique est objet d'enseignement et les bons modèles ne font pas défaut. Il n'est pas tout à fait étonnant qu'un collégien parvienne assez vite à une impeccable facture. De fait, quand on lit les recueils de cette époque, même ceux qui, médiocres, ont été oubliés depuis, on ne peut pas ne pas être frappé par la sûreté de main dont font preuve tant de braves garçons.
Mais, dès l'abord, Mallarmé se place au premier rang, peut-être par une impitoyable rigueur. Il écrit, à propos du recueil publié par un ami : « La pensée, lâche, se distend en lieux communs et, quant à la forme, je vois des mots, des mots, mis souvent au hasard, sinistre s'y pouvant remplacer par lugubre, et lugubre par tragique, sans que le sens du vers change. » C'est, sous sa plume, la première apparition du mot « hasard », auquel il rêvera tant. Il est curieux et peut-être significatif que ce mot apparaisse d'abord à propos de technique, très précisément à propos du choix des adjectifs. Dès le début, Mallarmé est marqué par le souci, dans un poème, de donner à chaque mot une raison d'être. Il suffit de regarder ses propres épithètes pour voir qu'elles ne sont pas mises là au hasard. Et cette solidité d'enchaînement dans le détail, Mallarmé la demande aussi à l'ensemble. Il écrit, à propos de L'Azur : « Il fallait toute cette poignante révélation pour motiver le cri sincère et bizarre de la fin, l'azur. »
« Motiver[...]
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Écrit par
- Jean-Louis BACKES : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur de littérature comparée à l'université de Caen
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