STÉPHANE ROGER WORMS dit ROGER (1919-1994)
Né à Paris en 1919, Roger Stéphane a traversé le siècle sans doute le plus tourmenté de l'histoire à la fois en acteur et en observateur lucide et passionné, sans perdre le sens du bonheur et de la liberté que lui avait transmis un humanisme français. Cet humanisme, par sa nature averti des limites de la condition humaine, il en a accepté avec simplicité toutes les conséquences par son œuvre, sa vie, la mort volontaire, enfin.
Roger Stéphane a donc fait son choix là où il est seulement possible d'en exercer un : « C'est du monde lui-même que j'ai une approche littéraire, car elle dévoile la face cachée de celui-ci et participe de la découverte millénaire des vertus libéralisatrices du verbe » (Préface à la réédition des Sept Piliers de la sagesse de T. E. Lawrence, 1989). Une seule chose a compté dans sa vie : le paysage humain, que ne compose pas une humanité abstraite, mais bien tel ou tel homme, telle ou telle femme que le mouvement de l'histoire et du temps portait à sa rencontre.
Ceux qu'il admire sont tous là où se joue le destin humain : T. E. Lawrence, Rossel, génie malheureux de la Commune, Malraux, Stendhal, Gide, Martin du Gard, et, finalement, d'un côté, Montaigne (Autour de Montaigne, 1986) et, de l'autre, de Gaulle (Portrait de l'aventurier, 1950 ; André Malraux, entretiens et précisions, 1984).
Lorsque Roger Stéphane interroge Malraux : « Qu'est-ce que l'intelligence pour vous ? », celui-ci lui répond : « L'intelligence, c'est la destruction de la comédie, plus le jugement, plus l'esprit hypothétique. » Or, dans sa rencontre avec T. E. Lawrence, Roger Stéphane tombe sur « ce démon d'absolu qui est notre lot à tous » et dont l'absence peut faire de l'homme « une inavouable imposture » s'il ne la détruit pas par l'exercice ininterrompu de son intelligence. Si elle parvient à la détruire, elle laisse voir ou bien un absolu inatteignable, ou bien « rien » (Préface à la réédition des Sept Piliers de la sagesse) ; un « rien » que seule, pour Roger Stéphane, l'amitié occupe et remplace : la découverte des autres, des amis, de l'ami, d'où naissent la générosité, le charme, la précieuse frivolité, que protège seul le « refus de coïncider » avec tout le reste (« Parce que c'était lui », in Tout est bien, 1989).
Toute sa vie, Roger Stéphane a su engager sa personne dans une action politique à une hauteur historique qui la légitime. Immédiatement résistant, dès 1938, contre Munich, pendant toute la guerre contre l'armistice, contre l'occupant allemand, contre Vichy, il prend ensuite position en faveur de la décolonisation du Maghreb, et, plus tard encore, de la libération du Liban. Parallèlement, son souci d'une information rigoureuse l'a amené à fonder en 1950 France-Observateur, qui allait devenir par la suite Le Nouvel Observateur, et à donner à la télévision ses portraits d'écrivains et ses fresques historiques qui témoignent de la certaine idée qu'il avait de ce trop puissant média.
À la redoutable impatience d'en finir avec la liberté des autres en décidant sans plus attendre de la figure terminale de l'homme, Roger Stéphane a opposé la figure énigmatique de cet « homme inexplicable » qu'il a pour sa part préféré questionner jusqu'au bout.
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Écrit par
- Yves JAIGU : ancien directeur de France-Culture et ancien directeur des programmes de F.R.3
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