GOULD STEPHEN JAY (1941-2002)
Le rôle des discontinuités dans l'évolution
Dans son premier grand livre, Ontogeny and Phylogeny (1977), Gould étudie les mécanismes possibles de tels changements discontinus au niveau de l'ontogenèse, c'est-à-dire du développement de l'individu : les phénomènes d'hétérochronie (et notamment la néoténie, c'est-à-dire la rétention, à l'âge adulte, de caractéristiques infantiles ou fœtales) pourraient être une des clés pour comprendre les modalités du devenir phylogénétique : l'homme lui-même pourrait bien être un animal néoténique, dérivant d'un ancêtre du chimpanzé qui n'aurait pas atteint sa forme adulte.
À l'échelle de la macro-évolution, les positions de Gould suscitent un intérêt renouvelé pour le rôle qu'ont pu jouer les extinctions de masse dans l'histoire du monde vivant. On connaît, au cours de cette histoire, au moins cinq extinctions majeures dont il est impossible de rendre compte par l'explication darwinienne de la sélection naturelle et de la concurrence pour la survie. Ainsi, à la limite Crétacé-Tertiaire, les dinosaures ont peut-être été anéantis (selon l'hypothèse des Alvarez) du fait de l'impact d'une comète ou d'un astéroïde de grande taille qui serait entré en collision avec la Terre, il y a quelque 65 millions d'années.
À cet intérêt porté aux phénomènes de discontinuité dans l'histoire du vivant s'associe, d'une part, la critique de la notion d'adaptation – que Gould développe, en collaboration avec Richard Lewontin, dans un article publié en 1979 – et, d'autre part, de celle de la notion de « progrès ». Le devenir des êtres ne saurait être progressif et linéaire car, s'il est régi par les lois biologiques, il l'est aussi par les nécessités et les accidents de l'environnement. Il est par essence historique, soumis aux aléas et aux événements, il n'obéit à aucune nécessité préétablie, il n'est pas prévisible, mais contingent. Plutôt que sur la complexité croissante et la finalité de cette évolution, il convient d'insister sur la plasticité des formes vivantes et sur l'extraordinaire diversité de la vie.
Depuis sa formulation, en 1972, la théorie des équilibres ponctués a suscité passions et remous dans la communauté scientifique. Si elle est aujourd'hui rarement admise dans sa totalité par les spécialistes, et si elle a même fait parfois l'objet d'attaques virulentes de la part des « darwiniens orthodoxes », on ne peut nier qu'elle a ouvert un champ large et fécond pour repenser les concepts de la génération précédente (celle des pionniers de la théorie synthétique de l'évolution ) et les idées reçues de la théorie de l'évolution.
Le dernier livre de Gould, The Structure of Evolutionary Theory (2002), est une somme scientifique de 1 400 pages, qui synthétise trente ans de méditations sur l'évolution du vivant. Gould y propose un certain nombre de révisions de la théorie darwinienne : distinction de plusieurs niveaux de sélection, critique du gradualisme évolutif, critique du finalisme adaptatif, élargissement et multiplication des causes du devenir évolutif en y incluant des causes environnementales catastrophiques. Cependant, il réaffirme dans cet ultime ouvrage que ces critiques n'ébranlent pas l'édifice construit par Darwin, dont la structure continue à ses yeux de fournir les fondements d'une pensée évolutionniste cohérente.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Claudine COHEN : professeure d'université, directrice d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, Paris
Classification
Autres références
-
DARWINISME
- Écrit par Dominique GUILLO et Thierry HOQUET
- 5 497 mots
...transformation des espèces au fil du temps (l'évolution) se produit sans qu'aucun plan préexistant n'oriente par avance le devenir de cette évolution. L'esprit du darwinisme est assez bien résumé dans une image proposée par Gould : si l'on repassait le film de l'évolution plusieurs fois, on n'obtiendrait... -
ÉVOLUTION
- Écrit par Armand de RICQLÈS et Stéphane SCHMITT
- 15 123 mots
- 10 médias
Le modèle des « équilibres ponctués » développé dès 1972 par Niles Eldredge et Stephen Jay Gould, longtemps présenté comme une alternative globale à la théorie synthétique, ne conteste en fait que la généralité de l'interprétation strictement gradualiste de la spéciation. À la limite, les... -
PHYLOGÉNIE ANIMALE
- Écrit par Michaël MANUEL
- 11 693 mots
Le paléontologue et évolutionniste américain Stephen Jay Gould (1941-2002) a largement popularisé ces fossiles des schistes de Burgess et leur importance du point de vue de l'évolution animale dans son ouvrage Wonderful Life, publié en 1989 (La vie est belle, 1994). L'une des idées maîtresses... -
ÉQUILIBRES PONCTUÉS THÉORIE DES
- Écrit par Étienne ROUX
- 1 086 mots
- 1 média
La théorie des équilibres ponctués a été énoncée par deux biologistes et paléontologues américains, Niles Eldredge (né en 1943) et Stephen Jay Gould (1941-2002), dans un article publié en 1972 et intitulé « Punctuated equilibria: an alternative to phyletic gradualism » (Les équilibres...