GOULD STEPHEN JAY (1941-2002)
L'importance de l'histoire des sciences
Fondée sur une relecture des travaux de Darwin, l'œuvre de Gould révèle aussi un réel intérêt pour l'histoire des sciences. Cette dernière apparaît dans nombre de ses ouvrages et le conduit à porter un regard souvent neuf et stimulant sur des textes anciens qu'il aimait fréquenter dans leurs éditions et leurs langues originales. Aux racines du temps (1987) met en évidence la permanence et le rôle en géologie – de Thomas Burnet à Charles Lyell – de deux modèles de la temporalité : temps linéaire, orienté, et temps cyclique. Dans La vie est belle (trad. franç. 1994), Gould intéresse ses lecteurs aux recherches sur l'extraordinaire buissonnement de la faune cambrienne d'invertébrés fossiles des schistes de Burgess (Canada) en relisant l'œuvre de Charles Walcott, un paléontologue américain du début du xxe siècle, qui avait, selon le schéma gradualiste habituel à son époque, voulu reconnaître dans ces êtres les ancêtres des invertébrés actuels. À la suite de nouvelles recherches effectuées sur ces organismes dans les années 1970, Gould soutient l'idée que ces animaux sont aujourd'hui presque tous éteints, et qu'il est vain de chercher un rapport de filiation avec des êtres vivants actuels. Ces êtres – que le peintre Charles Knight avait représentés comme des animaux familiers (crevettes, méduses) nageant au fond des eaux –, une fois reconstitués selon de nouveaux critères, nous apparaissent sous des formes inconnues et singulières. « Les attentes de la théorie colorent si bien notre perception que les idées nouvelles naissent rarement de faits recueillis dans le cadre d'anciennes visions du monde. Il faut attendre que de nouvelles représentations s'imposent pour que les faits puissent être perçus selon une perspective nouvelle », écrivait déjà Gould en 1972. C'est pourquoi l'histoire des sciences est utile à la pratique scientifique elle-même : elle permet de mettre en lumière ces représentations, ces idées préconçues qui « colorent » le regard, même celui de l'observateur supposé impartial.
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Écrit par
- Claudine COHEN : professeure d'université, directrice d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, Paris
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