MCQUEEN STEVE (1969- )
Épuisement et résistance
Les trois longs-métrages de Steve McQueen scrutent l’épreuve qu’entraîne la perte de liberté, que ce soit à cause de l’incarcération (Hunger, 2008), de la frénésie sexuelle (Shame, 2011) ou de la servitude (12 Years a Slave, 2013, oscar 2014 du meilleur film). Pour chacun des protagonistes, la disgrâce qui l’atteint le tourmente à la fois comme un combat physique et comme une séparation absolue. Cet esseulement réduit sa personne à une chair exposée, qui fait songer à Lucian Freud ou à Francis Bacon. Conçu comme une nécessité, confirmé par les coups qui sont devenus son lot, il l’entraîne jusqu’à l’épuisement, volontaire ou non.
Le gardien de prison de Hunger souffre seul, en silence, de la brutalité à laquelle on l’oblige, avant d’être assassiné ; la lutte des détenus de l’I.R.A. prend pour armes la nudité, le refus de l’hygiène, l’urine dont ils inondent le couloir, les excréments dont ils tapissent leurs cellules. Bobby Sands (Michael Fassbender) pousse cette résistance jusqu’à l’indépassable et meurt au terme d’une grève de la faim, par un choix dont il précise les raisons à l’aumônier au cours d’un long plan dont la fixité accuse le caractère insurmontable de leur désaccord. On entend le discours pharisaïque que le Premier ministre Margaret Thatcher prononce d’une voix aigre. Enfin, rien n’indique quel parti prend le cinéaste sur la répression en Irlande du Nord ou sur la stratégie des prisonniers.
C’est aussi dans la surenchère que réagit le héros de Shame, interprété là encore par Michael Fassbender. Encombré d’une sœur dont il ne peut jouir et qui entrave sa propre jouissance, donc hors d’état de lier le désir à la reconnaissance d’autrui, mais incapable de renoncer à embrasser l’insaisissable, il multiplie les fornications, appelle les horions, s’abîme dans la nuit new-yorkaise et l’érotisme froid livré sous vitre, découvre la déréliction et les larmes, avant que sa fringale sexuelle le reprenne. Là encore, aucun jugement moral n’est prononcé.
La résistance du Noir libre (interprété par Chiwetel Ejiofor) vendu comme esclave dans 12 Yearsa Slave prend au contraire la forme de la retenue et de l’espérance. Dans le sud des États-Unis, privé de tout contact avec sa famille et de tous ses repères dans le monde, il subit la bastonnade, frôle longuement la mort par pendaison, se révolte parfois et tente même brièvement de s’évader. Il essaie en vain d’écrire, mais n’exprime bientôt plus ses connaissances et ses talents qu’avec une parfaite discrétion. Contrairement à une de ses compagnes d’infortune et au Bobby Sands de Hunger, il estime que le suicide n’est pas une solution. Son adresse ouvrière et son sens de l’observation témoignent seuls de la dignité humaine qu’il s’applique à conserver. Il dément ainsi les justifications de l’esclavage, dont le film présente une image accusatrice et largement neuve.
La durée des plans, les mouvements qui suivent la course éperdue des personnages, les cadrages épurés de toute présence superflue, les nudités crispées et sans défense ne doivent pas apparaître comme des effets de style. Ce sont autant de moyens de mettre en œuvre l’isolement des corps et de mesurer les mérites de la fuite, les limites de la résistance et la grandeur de l’épuisement. La composition des récits en trois temps, les images du passé et les contrastes qui s’établissent entre le protagoniste et son entourage contribuent à définir la singularité d’une expérience extrême.
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Écrit par
- Alain MASSON
: agrégé de l'Université, rédacteur à la revue
Positif
Classification
Média
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