STOÏCISME
Les doctrines de l'ancien stoïcisme
L'évolution du stoïcisme et la nature de son influence ont contribué à le faire connaître surtout comme une doctrine morale. Aussi faut-il souligner qu'à ses origines il n'est pas seulement une morale, mais une philosophie totale, inhabituellement systématique, où l'aspiration rationnelle à la sagesse, au bonheur et à la vertu ne se sépare pas d'une conception du monde et d'une technique de l'intelligence. Sans cet effort pour unifier les domaines d'exercice de la raison, sans cet étroit ajointement entre l'ordre de la nature et la liberté du sage, Zénon n'aurait été qu'un cynique parmi les autres ; et son disciple Ariston, en déclarant que la physique nous dépasse, que la logique nous importe peu, et que seule la morale nous concerne, signera précisément sa déclaration d'hétérodoxie.
La sagesse, dont la philosophie est l'exercice, se définit comme la science des choses divines et humaines. Logique, physique, éthique : telles sont les trois parties que distinguent en elle les stoïciens, reprenant une division déjà employée dans l'Ancienne Académie, tout en les concevant comme si étroitement unies qu'ils ne parvenaient pas à s'entendre sur l'ordre dans lequel il convenait de les enseigner. Des images célèbres symbolisaient cette unité organique : la philosophie, disait-on, est comme un animal dont les os et les nerfs sont la logique, les chairs l'éthique, l'âme la physique ; ou encore, comme un œuf dont la coquille est la logique, le blanc l'éthique, le jaune la physique. L'idée que la philosophie est un système, à une partie duquel on ne peut toucher sans ébranler tout le reste, était somme toute étrangère au platonisme et à l'aristotélisme même, écoles de libre recherche et de permanente remise en question ; elle s'introduit avec force dans le stoïcisme. Il n'est pour l'homme aucune question importante qui ne mette en jeu le monde où il vit, la raison dont il dispose et le bonheur auquel il tend.
La logique
L'un des maîtres mots du stoïcisme est l'intraduisible logos, langage et raison, qui est à la fois le propre de l'homme et le principe recteur de l'univers. Aussi les stoïciens ont-ils vu dans la logique, plus qu'un instrument de la connaissance, selon la tradition de l'Organon aristotélicien, une partie constituante de la philosophie. Leurs accomplissements dans ce domaine (dus surtout à Chrysippe) ont été longtemps négligés ou méprisés ; c'est la logique moderne qui, en permettant de les mieux comprendre, en a mesuré toute l'importance.
Le logos n'est pourtant pas, en l'homme, une instance première à tous les égards. Il se développe par étapes (la notion d'âge de raison est un legs du stoïcisme) ; il requiert une matière sur laquelle s'exercer, il exprime un rapport au monde qui le précède. Aussi la logique s'ouvrait-elle sur le préambule d'une théorie de la connaissance, sorte de logique matérielle qui répondait au problème, central dans toute la philosophie post-aristotélicienne, du critère de la vérité.
En accord avec leur physique et leur anthropologie matérialistes, les stoïciens sont ici sensualistes et nominalistes : les idées générales se forment à partir des représentations particulières. Le fait primitif est la « présentation » (phantasia), définie en termes plus ou moins étroitement matériels comme une « impression » ou une « altération » de l'âme. Contrairement aux phantasmes de l'imagination, la présentation témoigne, en même temps que d'elle-même, de l'objet qui la produit. Parfois, elle s'annonce infailliblement comme l'effet certain et l'image exacte de cet objet : c'est alors la fameuse « présentation compréhensive » ([...]
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Écrit par
- Jacques BRUNSCHWIG : professeur à l'université de Paris-X-Nanterre
- Urs EGLI : professeur à l'université de Berne
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Médias
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