Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

STRATÉGIE ET TACTIQUE

Stratégie et tactique dans les sociétés modernes

À partir d'un sens strictement militaire, ces deux termes, stratégie et tactique, ont connu une double extension : théorique, car mathématiques et économie les utilisent pour désigner certaines structures logiques de l'action ; pratique, car ils dénotent la conception et l'exécution des politiques les plus diverses : industrielle, sociale, etc. Ces extensions ne sont pas faites indépendamment l'une de l'autre : même si la praxéologie mathématique n'est pas née directement des besoins d'un monde en industrialisation rapide, il est certain que les techniques logico-mathématiques de rationalisation des choix n'auraient connu ni un tel succès ni un tel développement, si la nature même de l'action industrielle n'avait appelé le calcul, la normalisation des procédures, la quantification des données. Ce sont les exigences d'organisation du monde industriel, dans la guerre et dans la paix, qui ont stimulé l'ingéniosité tactique dans le choix des moyens destinés à résoudre les problèmes de production, de distribution, d'ordonnancement. Les techniques offrant des solutions variées, la nécessité de choix tactiques, c'est-à-dire de choix entre des modes possibles de réalisation des objectifs, s'est imposée, et des procédures logico-mathématiques ont été mises au point.

En même temps que s'affinait la virtuosité tactique, qui vise à l'optimisation des moyens, s'imposait la nécessité d'une pensée stratégique. Ce qui caractérise, en effet, l'action collective dans les sociétés industrielles, c'est que les techniques à la disposition de l'homme sont si puissantes et si variées que la réalisation d'une fin implique en général la mise en œuvre de moyens très divers soit pour atteindre l'objectif lui-même, soit pour neutraliser les conséquences nuisibles de l'action projetée.

La stratégie consiste à faire concourir des moyens hétérogènes et des actions dissemblables à la réalisation d'objectifs globaux. Cette action n'est pas « logique » au sens strict du terme, car elle implique la prise en considération, dans un même raisonnement, de variables de nature diverse, dont certaines, parmi les plus importantes, ne sont pas quantifiables. Elle combine les hommes et les choses, les grandeurs et les qualités, la nécessité et les aléas. Elle est en outre affrontée à une difficulté supplémentaire : les progrès technologiques rendent rapidement caduques les leçons de l'expérience, si bien que les précédents peuvent rarement servir d'exemples. Alors que la pensée tactique se meut en général dans un registre déterminé, militaire, industriel, ou commercial, par exemple, la pensée stratégique combine des actions variées pour atteindre un objectif global. C'est pourquoi elle réclame ce que Platon nommait le regard synoptique du dialecticien. Il serait cependant erroné de croire que la pensée stratégique est supérieure à l'habilité tactique : sans elle, la stratégie n'est rien, tant il est vrai qu'« il n'y a pas de détail dans l'exécution » (Valéry).

La stratégie, ainsi entendue, c'est la conduite et la réalisation, par les meilleurs moyens, d'une politique. S'appuyant sur l'habilité tactique, elle reçoit son inspiration et ses fins de la politique. L'emploi, si fréquent aujourd'hui, des termes tactique et stratégie vient sans doute de ce que l'action politique, pour être efficace, demande, plus qu'aux époques précédentes, une rationalisation des choix, une logique de l'action, un calcul et une évaluation des moyens. Du point de vue philosophique, l'énigme que soulève l'idée même de stratégie est la suivante : croire à l'efficacité d'une pensée stratégique, c'est postuler que les sociétés humaines peuvent, dans une certaine mesure,[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Autres références

  • AGNOTOLOGIE

    • Écrit par
    • 4 992 mots
    • 2 médias
    – celles sur l'ignorance comme produit d'une stratégie. Il s’agit là de considérer que l’on a pu tenter de gommer, de saper ou de fragiliser une connaissance fiable existante. Ainsi, faire disparaître de la connaissance de l’espace public, par exemple dans le cadre d’un secret d’État ou industriel,...
  • ARMÉE - Doctrines et tactiques

    • Écrit par
    • 8 017 mots
    • 3 médias

    La guerre est devenue au cours des siècles l'affrontement de groupes organisés dotés de moyens de défense et d'attaque de plus en plus perfectionnés. Le champ clos de jadis se transforme en champ de bataille, puis en théâtre d'opération terrestre, maritime, enfin aérien. À mesure que la lutte s'étend...

  • AUMANN ROBERT YIRAËL (1930- )

    • Écrit par
    • 1 224 mots

    Économiste et mathématicien de nationalité américaine et israëlienne, Prix Nobel d'économie en 2005, conjointement à l'Américain Thomas Schelling, pour avoir « amélioré [notre] compréhension des conflits et de la coopération au moyen de la théorie des jeux ».

    Robert John...

  • BEAUFRE ANDRÉ (1902-1975)

    • Écrit par
    • 1 052 mots

    Saint-cyrien de la victoire, André Beaufre choisit l'armée d'Afrique et l'infanterie. Du Rif, où, blessé, il frôle la mort, à l'Indochine en passant par la Tunisie, l'Italie, l'Alsace et l'Allemagne, du grade de lieutenant (1924) à celui de colonel (1946), il se bat chez les...

  • Afficher les 31 références