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TSIRKAS STRATIS (1911-1980)

L'écrivain grec Stratis Tsirkas est né au Caire. Les cinquante premières années de son existence se déroulent au Caire et à Alexandrie, où vit une forte communauté grecque. Il appartient à cette diaspora hellène que l'on retrouve en Égypte, en Palestine, en Turquie, à Chypre. Les guerres, les révolutions sont venues redoubler les exils, les errances.

L'œuvre de Tsirkas a pour cadre cette Égypte — pays carrefour — qui ressent les soubresauts du monde, entre deux grandes guerres et deux révolutions, celle de 1919 et celle de la prise de pouvoir par Nasser dans les années 1950. Dans ses nouvelles, Tsirkas dépeint plus particulièrement l'Égypte miséreuse et joyeuse du petit peuple, des humbles, sympathiques ou méchants, résignés ou révoltés, combinards, ambitieux, s'enrichissant avec les petits trafics qui se développent à la faveur de la guerre et de l'occupation anglaise.

Nous trouvons l'évocation des souvenirs de l'enfance, passée dans le quartier grec traditionnel d'une ville orientale à demi campagnarde, dans Le Vert Paradis. Ce mouvement de retour sur soi est teinté de nostalgie et d'amertume : le monde pur de l'enfance porte en lui le germe du mal, et son image est irrémédiablement souillée par les déceptions de l'âge adulte. Il y a eu la Première Guerre mondiale et la présence ostensible des militaires. La solidarité communautaire a été détruite. Noureddine Bomba, ou l'Homme du Nil (1957) nous éloigne du delta, c'est un monde différent qui nous est montré, celui des fellahs de la moyenne Égypte — et c'est le tableau de l'abjecte dictature du roi Farouk, tandis qu'à l'horizon se profile la révolution nassérienne...

Stratis Tsirkas vient s'installer à Athènes en 1963. Il y achève son œuvre majeure, la puissante trilogie romanesque de Cités à la dérive (1960-1965). Ce titre est inspiré d'un vers de Georges Séféris. Il s'agit d'une fresque, de caractère à la fois historique et politique. Trois lieux, trois villes « ingouvernables » : Jérusalem, Le Caire et Alexandrie. L'époque : la période de 1942-1944, où tout pouvait basculer, alors que les blindés de Rommel menaçaient l'Égypte, que les Russes étaient acculés au Caucase... « Au-delà de l'écrasement du nazisme, c'était bien la « condition humaine » qui se trouvait tout entière engagée. » En marge des grandes manœuvres soviétiques, allemandes, italiennes, anglaises, les petites nations, écrasées, dispersées, essaient de survivre et jouent leur destin. Dans cet imbroglio, les réfugiés grecs, combattants de différents partis, nostalgiques de la dictature, démocrates, communistes, anciens ministres, agents secrets, mènent leurs intrigues — jusqu'à la « normalisation » des trop remuants auxiliaires grecs par la troupe anglaise. Dans ce livre, comme l'écrit Catherine Lerouvre, « l'auteur saisit les différentes communautés grecques, au moment précis où elles dérivent vers leur extinction, alors même qu'explosent les nationalismes au Moyen-Orient ». Mais Cités à la dérive n'est pas un roman à thèse. Sur la toile de fond de la tragédie collective, l'éclairage principal est mis sur les drames individuels des personnages, saisis par l'histoire. Cela nous vaut une galerie de portraits émouvants, aimables ou haïssables, pathétiques. Particulièrement remarquables sont les héroïnes de Tsirkas, qui rompent avec certaine tradition romanesque : femmes vaincues, déchirées par l'angoisse, femmes amoureuses, tendres, combattantes... Ce livre, traduit en français, valut le prix du meilleur livre étranger à son auteur, en 1971.

— Domonkos SZENES

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