STRUCTURE (anthropologie)
Ambitions théoriques
Avec des méthodes fort différentes, Murdock et Lévi-Strauss entreprennent l'analyse structurale de la culture, en se plaçant sur le terrain privilégié des systèmes de parenté, et en regardant comment leurs différentes composantes peuvent se combiner les unes avec les autres. Murdock recense toutes les nomenclatures de parenté attestées par l'ethnographie pour en dresser une classification systématique. Mais il étudie aussi leur plus ou moins grande stabilité et leur capacité à se transformer ou non les uns dans les autres. Lévi-Strauss part des différentes règles de mariage pour remonter à leur principe commun, l'échange des femmes entre les groupes, conçu comme matrice du lien social, et pour dresser le tableau complet de toutes les manières possibles de mettre en œuvre ce principe. L'un et l'autre contribuent ainsi à réaliser partiellement la première grande ambition du structuralisme, pris au sens large du terme : celle de toujours replacer le réel observé dans le champ des possibles, en établissant, pour chaque institution, le système complet de ses variations possibles et de ses invariants structuraux.
La deuxième ambition du structuralisme va bien au-delà de ces prouesses formelles. Elle consiste à mettre au jour la dynamique interne des sociétés, les raisons structurales de leur fonctionnement et de leur stabilité. C'est ce qu'Edward Evan Evans-Pritchard se propose de faire dans son analyse classique de la structure segmentaire des Nuer, éleveurs du Soudan (1940). Contrairement à Radcliffe-Brown, il ne définit pas la structure sociale comme constituée des éléments de la société et de leurs relations, mais comme faite de rapports et de « rapports entre ces rapports ». Il ne s'arrête pas aux rapports d'inclusion et d'opposition des différents groupes sociaux, mais dégage les principes de fission et de fusion qui permettent à ces groupes d'interagir, et leur articulation avec la médiation rituelle du chef à peau de léopard, conçue comme mécanisme interne de régulation, comme institution locale permettant à la structure globale de perdurer. La structure n'est plus seulement le diagramme abstrait des relations, mais le principe à la fois diversifiant et unificateur du tout social.
La troisième et la plus haute ambition du structuralisme a été fort bien repérée par Gilles Deleuze : « Dégager la structure d'un domaine, c'est déterminer toute une virtualité de coexistence qui préexiste aux êtres, aux objets et aux œuvres » (in François Châtelet, Philosophie, 1979). C'est mettre au jour des contraintes formelles qui restreignent a priori le champ des possibles et devraient idéalement permettre de construire une table des cultures – et donc des types de sociétés humaines possibles – analogue, dans son principe, à la table des éléments chimiques.
En effet, ce qui caractérise l'homme n'est pas tant la vie sociale, qu'il partage avec beaucoup d'autres espèces, mais sa culture, c'est-à-dire ses institutions et ses techniques. Un grand intérêt du structuralisme lévi-straussien est d'émettre deux hypothèses très fortes sur la nature des institutions : celles-ci ne sont pas faites de bric et de broc, mais marquées par un style qui leur donne une unité systématique ; elles ne constituent pas une création libre des hommes, mais sont déterminées par des rapports de possibilité et d'impossibilité qui en fixent d'entrée de jeu les conditions de formation et de viabilité.
Lévi-Strauss, il est vrai, n'a pas prouvé la validité de ces hypothèses. Mais il se trouve que, de manière tout à fait indépendante, André Leroi-Gourhan a développé son étude générale des techniques (Évolution et techniques, 1943-1945) à partir des mêmes prémisses. Les objets techniques d'une société donnée[...]
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Écrit par
- Lucien SCUBLA : anthropologue au Centre de recherche en épistémologie appliquée (C.R.E.A.), École polytechnique
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