STRUCTURE & ART
Puissances de l'objet
L'art de bâtir s'accommode mal, dans son concept fondamental, du partage entre la réalité et l'apparence. Le travail d'architecture – et c'est précisément à ce titre qu'il est aujourd'hui contesté, qu'il fait l'objet dans son principe même d'une critique radicale – obéit à d'autres déterminations que simplement fonctionnelles ou utilitaires : l'ordre qu'il tâche à introduire dans les choses, sinon dans les affaires humaines, cet ordre n'a lui-même rien de « naturel » ni même d'« organique », apparenté qu'il est plutôt – comme déjà l'avaient reconnu les théoriciens du siècle classique, au premier rang desquels le traducteur de Vitruve, Charles Perrault – à celui du discours. L'ordre classique n'offre pas tellement l'image d'une ossature idéale qu'il ne règle la distribution des éléments de l'architecture, supports de différents types et de différents modes, ouvertures, etc., non seulement en façade mais à l'échelle du bâtiment tout entier, et suivant des principes qui pour n'être pas toujours explicites ni même consciemment appliqués n'en sont pas moins contraignants (tel celui qui veut que les ordonnances à colonnades, engagées ou non, soient réservées aux façades intérieures, toute infraction à cette règle posant d'emblée un problème, prenant dès l'abord une valeur particulière). Il n'en reste pas moins qu'il emprunte sa puissance logique du travail métaphorique qu'il suppose comme sa condition. L'ordre peut bien n'être qu'un masque plaqué sur une bâtisse dont il ne manifeste aucune des articulations réelles, quand il n'y contredit pas ouvertement : dans son apparence comme dans les rapports qu'il entretient avec cette même bâtisse, il n'en témoigne pas moins de la nature nécessairement structurale des effets produits, par voie de métaphore, dans le registre symbolique.
Les développements les plus récents de l'art de bâtir, et au premier chef la généralisation des coques en voile de béton précontraint aussi bien que des structures métalliques en réseau, indiquent en quel sens le travail architectural pourrait, aujourd'hui encore, informer la pensée, la théorie : forme et structure cessent d'être conçues dans leur accord ou leur discord éventuel dès lors que la forme est directement pensée en termes de structure et la structure en termes de forme. Mais la structure cesse alors d'apparaître comme l'ossature ou l'échafaudage matériel du donné phénoménologique pour prendre position de principe productif, de loi de construction, pour fonctionner, suivant l'expression de Lévi-Strauss, au titre de « puissance de l'objet ». Du même coup, la notion d'ordre retrouve une actualité imprévue, tout le problème étant désormais de savoir dans quelle mesure la pensée structurale réussira à s'affranchir de modèles mécanistes dépassés et dans quelle mesure, en retour, la théorie de l'architecture se révélera capable de profiter des progrès, de l'approfondissement d'une méthode dans l'archéologie de laquelle ses objets occupent une place décisive.
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Écrit par
- Hubert DAMISCH : directeur d'études à l'École pratique des hautes études
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