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STURM UND DRANG

L'esthétique des « génies »

Schiller - crédits : Culture Club/ Getty Images

Schiller

Le mouvement Sturm und Drang apparaît en Allemagne au milieu d'une discussion sur les règles et le génie dans l'art, discussion commencée au début du siècle et qui va trouver là une conclusion provisoire : la seule règle est d'écouter son cœur, d'être sincère et aussi d'être fort. L'originalité compte plus que tout, et celui qui ne sent pas en lui des émotions nouvelles, qui ne forme pas des pensées inédites, celui-là n'a rien à faire dans la poésie ou sur la scène. S'en tenir à la nature, être vrai et envoyer au diable « un siècle de faiseurs de paragraphes », dira un personnage des Brigands de Schiller. Werther, de son côté, déclarait (lettre du 26 mai) à propos d'un dessin fait d'après nature : « Cela me renforce dans ma détermination de m'en tenir désormais exclusivement à la nature. Elle seule est infiniment riche ; elle seule fait le grand artiste. »

Les mêmes Brigands sont aussi d'authentiques représentants du mouvement quand ils se mettent hors la loi et décident de redresser eux-mêmes la justice injuste des princes. La source de toute énergie, et par là de toute communauté, est, avec le peuple anonyme, la forte personnalité, la vitalité indomptable, la capacité de s'affirmer. Un peu plus tard, Goethe parlera d'« élément démoniaque » à propos des grandes personnalités qu'il a mises en scène comme Goetz, aussi célèbre en Allemagne que Cambronne en France, comme Mahomet ou Socrate, sur lesquels il n'a pas pu achever les drames qu'il avait commencés, comme le comte d'Egmont, qui s'exprime plus poliment que Goetz mais qui a gardé toute la désinvolture du « génie ». « Vais-je admettre, dit Karl Moor dans Les Brigands, de me laisser serrer dans un corset, de laisser ficeler ma volonté par des lois. La loi n'a jamais fait naître un seul grand homme ; la liberté engendre des colosses et des extrêmes. Ah ! si l'esprit d'Arminius vivait encore sous la cendre ! Je rêve d'une armée de gaillards comme moi : l'Allemagne serait une république auprès de laquelle Rome et Sparte auraient l'air de couvents pour les nonnes. »

Le Saint Empire finissant, avec ses institutions endormies dans la routine et ses mille petits despotes, n'était pas à la taille de ces ambitions-là. Toute cette génération d'hommes de lettres, sortis de la bourgeoisie et parfois du peuple, se sentait à l'étroit dans les variables et innombrables féodalités qui recouvraient comme d'un filet tous les pays allemands. Les moins rebelles, Goethe par exemple, ont décrit le sentiment d'étouffer dans leur pays ; plusieurs se sont expatriés. Peu nombreux cependant furent ceux qui, par exemple, allèrent combattre avec les insurgents d'Amérique du Nord, et en pays allemand rien ne vint au-devant de leurs vœux. Pourtant, sur proposition d'un député alsacien, l'Assemblée législative fera, un jour, de l'auteur des Brigands un citoyen d'honneur de la République française.

C'est dans le domaine poétique, sur le plan du théâtre aussi, et peut-être surtout, qu'il faut essayer de situer ce mouvement dont les conséquences ont été nombreuses, parce que les hommes de la génération de Goethe, l'avant dépassé, en ont gardé un souvenir durable, et parce que les romantiques ont puisé aux sources révélées par Herder. Ce fut l'époque de la découverte, du culte de l'originalité et du génie. Le mot, qui est apparu en allemand au milieu du siècle, a fait fortune : en 1775, chacun, en Allemagne, était à la recherche de son génie, chacun ambitionnait d'exprimer quelque chose qui lui fût propre. Quelques-uns, comme Lenz, en firent un vertige qui devait les aliéner au monde ; d'autres cessèrent d'écrire, comme Klinger qui finit sous l'uniforme du tsar. Les plus doués sortirent du règne[...]

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