STYLE 1200
Le rôle de la France septentrionale et de Paris
La région septentrionale de la France a certainement participé à l'élaboration du « style 1200 » pendant la seconde moitié du xiie siècle, aussi bien dans le domaine du vitrail que dans celui de la miniature ; c'est là aussi que se situent plusieurs des plus typiques de ses créations, au début du xiiie. L'influence de l'émaillerie et de l'enluminure mosanes, où les tendances antiquisantes ont été très précoces, apparaît déjà dans les vitraux de Saint-Denis (avant 1147 !). Vers 1175 se développe en Champagne, à Troyes peut-être, à Reims très certainement, un style souple et élégant, sans contact avec les schématismes romans. Le plus bel exemple de ce style sont les vitraux provenant de Troyes (collégiale Saint-Étienne, détruite), dispersés aujourd'hui entre plusieurs musées (musée de Cluny, Paris ; Victoria and Albert Museum, Londres, etc.). Un manuscrit de luxe, dit la Bible des Capucins (Bibl. nat., Paris, ms. lat. 16743-16746), offre, dans les volumes I et III, un art presque identique à celui des vitraux de Troyes, qui sortent visiblement du même milieu, en contact avec l'art mosan contemporain. À Reims, on exécute à partir de 1180 la belle série des vitraux du chœur de Saint-Remi, grandes figures qui ne sont pas sans analogie avec les tendances « classiques » de Canterbury. Voisins de la Champagne et sous la dépendance de la province épiscopale de Reims, le Laonnais, le Soissonnais, l'Artois ont connu pendant le xiie siècle un grand développement des scriptoria monastiques. Vers 1200, c'est dans ces régions – à Tournai ? à Anchin ? – que furent probablement produits les chefs-d'œuvre de la tendance « antiromane » : le Psautier de la reine Ingeburge (Chantilly, musée Condé, ms. 1695), un psautier de la Pierpont Morgan Library à New York (ms. M 338), etc. Le Psautier d'Ingeburge – femme répudiée du roi Philippe Auguste – a été fait soit pour le mariage royal (1193), soit pendant les années de disgrâce de la reine, en tout cas avant 1214, date de la bataille de Bouvines. Le livre réunit tous les caractères de l'art 1200 et les exalte : formule anglaise du psautier, nombreux caractères byzantins dans l'iconographie, admirable « classicisme » de certaines miniatures (car l'illustration n'est pas homogène). Il a été fort justement observé que se rencontrent des analogies formelles très précises entre ces miniatures et les vitraux de la cathédrale de Laon, d'un même style, large et noble, harmonieux dans les compositions bien aérées, dans les tracés des silhouettes, dans le dessin des têtes. La construction du chevet actuel de Laon a commencé en 1205 ; il est probable que certains vitraux ont été repris du chœur antérieur. Mais de toute façon ce même style règne aux vitraux du chœur de Soissons, de la chapelle de la Vierge de la collégiale de Saint-Quentin (vers 1220 ?) ou encore dans la belle vitrerie de la chapelle du château de Baye (Marne).
Une question importante doit être ici posée : quelle était la part de Paris dans cette création ? C'est, autour de 1200, une ville en pleine expansion politique et démographique, où se construit et s'orne la cathédrale Notre-Dame, non loin du palais royal de Philippe Auguste. Le Psautier d'Ingeburge n'est-il pas une œuvre parisienne, faite pour la chapelle royale ? Il ne reste des vitraux parisiens du premier quart du xiiie siècle qu'une partie de la rose occidentale de Notre-Dame : elle est d'un style semblable aux vitraux du Laonnais et du Soissonnais. Quant aux manuscrits localisables à Paris – certains très beaux, comme le Psautier dit de Blanche de Castille (bibl. de l'Arsenal, ms. 1186), ou bien l'extraordinaire Bible Moralisée du trésor de la cathédrale de Tolède, peinte sans[...]
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Écrit par
- Louis GRODECKI : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris
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