STYLE, ARTISTE ET SOCIÉTÉ, Meyer Schapiro Fiche de lecture
Dans l'histoire de l'art du xxe siècle, l'œuvre de Meyer Schapiro (1904-1996) tire son originalité de sa portée fondamentalement critique. Si dans ses différentes contributions, aucun ouvrage ne domine véritablement – au point qu'il apparut longtemps comme un historien de l'art célèbre qui n'avait cependant jamais écrit de livre –, c'est parce que sa pensée, jusque dans ses aboutissements théoriques les plus complexes, s'est presque toujours déployée dans des études s'affichant comme empiriques. Originaire de Lituanie, Meyer Schapiro émigre aux États-Unis dans les années 1920. Il développe rapidement, à propos de l'art roman d'abord, une méthode qui lui permettait de dépasser l'opposition, très souvent transformée en dogme, entre l'histoire sociale et culturelle de l'art et l'analyse structurelle des formes. C'est d'ailleurs à travers la critique serrée qu'il fait des historiens formalistes de la « seconde école de Vienne » – Hans Sedlmayr, Otto Pächt ou Emil Kaufmann –, mais aussi des formalistes français tels que Henri Focillon et Jurgis Baltrušaitis, que Schapiro parviendra à dégager une voie étroite d'analyse qui lui sera propre en lui permettant de donner aux affirmations stylistiques les plus audacieuses un arrière-plan social et politique. Cette inflexion sociale, particulièrement nette chez le premier Schapiro qui a lu attentivement Marx, n'était pas sans rapport avec sa propre sensibilité politique. Lié à de très nombreux artistes, dont certains furent ses élèves – Ad Reinhardt, Donald Judd, George Segal –, Schapiro influença profondément par son enseignement autant que par ses écrits plusieurs générations d'historiens de l'art américains, parmi lesquels Robert Rosenblum, William Rubin ou encore Leo Steinberg.
De l'art abstrait à la signification de l'art du passé
Treize études publiées en anglais entre 1940 et 1969 ont été traduites pour composer ce recueil qui réserve aux artistes eux-mêmes – c'est ce que laisse entendre le titre – le soin d'arbitrer entre le style et la société. Deux aspects majeurs de l'œuvre de Schapiro ont cependant été écartés de l'ouvrage : sa réflexion sur l'art de son temps, formulée dans Nature de l'art abstrait (1937), puis dans l'essai Sur l'humanité de l'art abstrait (1960) ; les écrits de jeunesse sur l'art roman – et notamment l'étude sur les sculptures de Moissac (1931) et l'essai capital de 1939, From Mozarabic to Romanesque in Silos (De l'art mozarabe au roman à Silos). Mais nous retrouvons ces deux références centrales chez Schapiro dans les trois premiers essais, qui concernent la sémiotique de l'art visuel et la notion de style. Le ton théorique de ces études ne doit pas tromper : il s'agissait moins pour Schapiro de fixer un cadre méthodologique exclusif que d'ouvrir des voies d'analyse en soulevant un certain nombre de problèmes. D'abord, celui des éléments non mimétiques du signe iconique – comme le cadre ou le fond – et de leur rôle dans la constitution du signe. Dans ce premier texte sur la sémiotique des arts visuels et (bien que de manière moins axiomatique) dans sa réflexion sur la notion de « style », Schapiro utilise toutes les ressources du critique d'art moderne qu'il était pour introduire de nouveaux éléments susceptibles d'enrichir l'analyse des significations recélées par les œuvres médiévales. Ce qui peut apparaître comme un pur élément formel sans signification, la « substance imageante » d'une œuvre, c'est-à-dire les lignes, les hachures et les taches d'encre ou de peinture, ou en sculpture la matière modelée ou taillée, est, comme Schapiro le souligne, converti par l'artiste en éléments positifs de représentation. Inversant[...]
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Écrit par
- François-René MARTIN : ancien pensionnaire à l'Institut national d'histoire de l'art, chargé de cours à l'École du Louvre
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