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STYLE, ARTISTE ET SOCIÉTÉ, Meyer Schapiro Fiche de lecture

Critique et déconstruction

Les autres études concernent des œuvres, des artistes ou des mouvements précis ; mais elles n'en sont pas moins orientées par le souci d'éclairer des questions de grande portée. En soumettant à une critique pointilleuse le célèbre texte de Freud Un souvenir d'enfance de Léonard de Vinci, Schapiro réduit à peu de choses la démonstration du Viennois, mais tout en admettant la possibilité d'une interprétation psychanalytique des œuvres d'art. C'est moins à la théorie psychanalytique elle-même qu'à l'attention qu'elle porte à la symbolique sexuelle que l'on peut rattacher l'étude sur le symbolisme caché du Retable de Mérode (Metropolitan Museum of Art, New York), peint par Robert Campin : sur le volet droit, saint Joseph en artisan fabrique des souricières : Schapiro décelait dans la souricière « un instrument sexuel latent », prenant son sens dans le contexte de chasteté et de fécondation mystérieuse de l'Annonciation, représentée sur le panneau central du retable.

En revanche, dans l'étude sur la signification des pommes chez Cézanne, Schapiro retrace la généalogie des thèmes qui s'emboîtent, tels des motifs gigognes, dans l'œuvre du peintre : scènes d'orgie et pastorales, bacchanales et baigneuses, nus féminins et natures mortes. Cézanne serait ainsi parvenu à discipliner ses rêveries érotiques de jeunesse par l'observation des objets, les pommes particulièrement, qui gardaient cependant en elles le contenu symbolique latent des images qu'elles recouvraient. C'est au Heidegger des Chemins qui ne mènent nulle part et aux prétentions de l'herméneutique philosophique sur le domaine de l'art que Schapiro répond dans son interprétation d'une œuvre de Van Gogh, Vieilles Chaussures (Stedelijk Museum, Amsterdam), n'hésitant pas à corriger les affirmations du philosophe au sujet de ces « souliers de paysan », en montrant que l'artiste n'avait rien voulu peindre d'autre qu'un objet personnel, un fragment de son existence.

D'autres études de Schapiro, sur « Courbet et l'imagerie populaire », sur « Seurat », ou encore sur « L'introduction de l'art moderne européen aux États-Unis » à l'occasion de l'exposition de l'Armory Show en 1913, s'inscrivent dans le face-à-face de l'auteur avec l'histoire sociale de l'art. Le travail de Schapiro reflète en cela un style d'analyse bien particulier. Dans nombre de ses textes marquants, il ne se sera frayé une voie dans la compréhension des œuvres d'art que par la discussion critique des grandes constructions intellectuelles qui baignaient alors l'histoire de l'art. Mais la traversée véritablement créatrice que Schapiro faisait de ces modèles théoriques était guidée à chaque fois par une intelligence acérée, toujours consciente de l'aspect polysémique de l'art. C'est ce regard posé au plus près des œuvres, celui d'un critique au sens le plus aigu du terme, qui permettait de reconstruire une analyse sur les débris des théories. Dans un des essais de l'ouvrage Schapiro évoque « Fromentin, critique d'art », il fait l'éloge de l'auteur des Maîtres d'autrefois. Cet éloge ne s'applique-t-il pas à Schapiro lui-même – qui fut un prodigieux dessinateur – et à son œuvre quand il loue chez Fromentin « une étude critique de la peinture, par un artiste accompli doublé d'un écrivain supérieur » ?

— François-René MARTIN

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Écrit par

  • : ancien pensionnaire à l'Institut national d'histoire de l'art, chargé de cours à l'École du Louvre

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