STYLE
Le discours de la stylistique
On ne tentera pas d'esquisser l'histoire de la stylistique. D'autant que généralement elle ne porte que sur le style de la langue ou du discours littéraire et non sur l'ensemble des arts. C'est la limite qu'elle s'imposait déjà sous son ancien nom de rhétorique. Car la rhétorique est une technique du langage considéré comme un art. Elle est à la fois descriptive et normative : grammaire de l'expression littéraire, elle détermine les moyens que le langage met à la disposition de l'écrivain et de l'orateur ; instrument de critique, elle pose les règles propres à chaque genre, qui fixent la composition, le vocabulaire, la syntaxe et les figures, et elle juge les œuvres en fonction de ces règles. La stylistique moderne, animée par le même souci de positivité que la linguistique à laquelle elle se rattache, renonce aux fonctions normative et critique. Mais, si elle s'interdit de juger les œuvres, elle ne renonce pas à leur examen. Du même coup elle se partage entre deux disciplines, qui répondent aux deux conceptions du style que nous avons distinguées « : d'une part ce que Pierre Guiraud appelle une stylistique de l'expression, d'autre part une stylistique de l'individu. La première, descriptive, met en lumière le pouvoir ou les propriétés de la langue, la seconde, génétique, traite de l'art singulier de l'écrivain. Ainsi Bally, auteur de la première Stylistique parue en 1905, étudie le génie de la langue : considérant que sa fonction est d'exprimer la pensée et les sentiments, il assigne à la stylistique l'étude des moyens que le lexique et la syntaxe apportent pour l'expression des sentiments. Par contre, Spitzer, promoteur de la New Stylistics, étudie le génie d'un auteur, tel qu'il apparaît dans sa langue, c'est-à-dire dans le système des procédés que son œuvre met en jeu et qui assure l'expression de la pensée aussi bien que de l'affectivité. Ce qui reste commun à ces deux entreprises, c'est l'idée que la stylistique est liée à la fonction sémantique de la langue, et par conséquent au discours – au texte – où cette fonction s'exerce. Comme dit Jakobson, la grammaire de la poésie – étude des moyens d'expression poétique en puissance dans la langue – est inséparable de la poésie de la grammaire – étude des effets obtenus dans le texte par le recours à ces moyens. Si l'on s'attache aux propriétés stylistiques de la langue, « on ne peut les expliquer par le seul mécanisme de la langue, mais uniquement par celui du discours » (T. Todorov et O. Ducrot), donc en considérant au moins « l'aspect verbal » des textes, lequel réfère immédiatement à l'aspect sémantique. Dès lors, si l'opposition entre les deux visées demeure irréductible, elle ne l'est pas entre leurs procédures ; car, si l'on veut élaborer une stylistique de la langue, ce ne peut être qu'en tant que la langue est une possibilité de discours, et donc sur les discours qu'elle autorise et qui sont des œuvres singulières ; inversement, cette singularité est autorisée par la langue où elle trouve à se manifester, et son examen en appelle à une théorie de cette langue : l'étude des effets implique l'étude des moyens.
C'est à partir de là que l'on peut étendre la notion de style à tous les arts, comme l'a tenté Gilles Granger. Cette notion s'explicite alors dans les termes de code et de message qu'a imposés le structuralisme. Le message, c'est à la fois l'œuvre et ce qui est signifié par elle : le sens, ou plutôt, si l'on suit Guillaume, l'effet de sens qui résulte, dans le texte et par le contexte, de l'actualisation d'une des possibilités de sens que la langue confère au signe. Le code, c'est le système des moyens convenus[...]
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Écrit par
- Mikel DUFRENNE : ancien professeur à l'université de Paris-X
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