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STYLISTIQUE

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Objet et méthodes

Une approche du discours littéraire

Comment décrire, après ce parcours théorique, la matière et le champ de la stylistique ? On admettra que la stylistique est une praxis, dont la matière s'identifie au discours littéraire. Celui-ci s'appréhende sous la forme d'un texte, que celui-ci apparaisse restreint à une limite faible (un vers) ou étendu à un espace vaste (une œuvre, un genre), pourvu que cette limite soit posée systématiquement. Et ce texte est bien saisissable comme discours. Pour nous, la distinction benvenistienne récit ≠ discours n'est pas pertinente à la base. Tout objet-texte est pris comme produit d'un acte d'émission verbale, à l'égard duquel se construit automatiquement un processus de réception. Cela implique, d'une manière il est vrai plus héroïquement théorique que réellement pratique, la possibilité de définir deux stratégies : une stylistique de la production et une stylistique de la réception, chacune à propos du même objet-texte. Question subsidiaire : une telle conception implique-t-elle le caractère non oral de la littérature ? Au fond, oui. Une littérature orale, si elle existe comme ensemble de contraintes discursives et thématiques structurellement liées, a vocation scripturaire – toutes remarques indépendantes des investigations sur les réalisations sonores, qui relèvent, entre autres, de la phono-stylistique.

Le définition proposée comporte deux termes (« discours littéraire »). Il faut préciser aussi le second. Littéraire sera pris au sens jakobsonien de poétique, c'est-à-dire de tout ce qui relève, plutôt que d'une incertaine fonction poétique, d'un fonctionnement du langage à régime de littérarité. Le discours littéraire sera donc analysé dans et selon ce fonctionnement : à travers l'ensemble des déterminations formelles qui le structurent, de quelque ordre qu'elles soient. Comme ces déterminations formelles structurent un régime du langage, elles concernent expressément, et seulement, tous les faits linguistiques afférant à ce régime. Pour éviter de l'ambiguïté à l'égard de ces faits, on les qualifie de faits langagiers, et ces déterminations sont globalement qualifiées de langagières. On procède à l'examen méthodique et technique des conditions formelles, des composantes verbales de la littérarité. Si la stylistique a failli mourir d'être comprise comme l'étude du ou des styles, parce qu'on ne sait pas très bien ce que c'est qu'un style, elle s'impose avec éclat dans la détection des caractéristiques du discours littéraire, en tant que littéraire : ce qui fait, par exemple, que les images chez Claude Simon ne se réduisent pas au même conglomérat lexico-syntactico-rhétorico-thématique, éventuellement, et toutes proportions gardées, que dans des productions verbales d'autres auteurs. Il faut certes opérer l'analyse de ce conglomérat : et on trouvera alors des éléments qui seront peut-être repérables en bien d'autres textes ; mais il faut aussi apprécier la littérarité de ces segments occurrents, et détecter leur spécificité. Voilà l'objet de la stylistique.

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Le but ne saurait être de construire une stylistique générative – même à la lumière des travaux d'Ohmann et de Thorne qui, partant du modèle de la grammaire générative, s'inscrivaient finalement dans une philosophie voisine de celle de l'ancienne rhétorique prescriptive de la création –, ni davantage une stylistique fonctionnelle, qui lierait à un ensemble donné, d'ordre thématique, un autre ensemble donné de déterminations langagières chargées d'en accompagner le motif. Bien plutôt, c'est dans la quadripartition de Louis Hjelmslev qu'il est souhaitable de situer l'aire et le dynamisme du stylistique : problématiquement dans la substance du contenu (par exemple, l'idéologie de Voltaire), sensiblement dans la substance de l'expression (le graphisme et le son), manifestement dans la forme de l'expression (lexique, distribution, figures) et dans la forme du contenu (figures macrostructurales, topoi et motifs, genres). La caractéristique, en tout cas, ne sera jamais atteinte à l'état d'unité isolée, mais inévitablement sous la forme d'un faisceau de traits langagiers dont seule la gerbe occurrente aura valeur de dominante.

Mention spéciale doit être faite de cette partie délicate de la discipline qu'est la stylistique historique. La même démarche qu'on vient d'évoquer dans une perspective implicitement synchronique préside aux recherches historiques. La difficulté supplémentaire, en l'espèce, est le risque de prendre pour fait de style ce qui est en réalité fait de langue, ou pour fait de pratique originale un fait de genre. La stylistique historique exige donc, au moins, une double compétence : et en linguistique historique, et en linguistique générale. Sans doute sur la base des travaux de Roger Lathuillère, de Michel Le Guern, d'Aron Kibédi Varga ou de Georges Molinié se développeront des recherches dans cette double perspective, à la façon des échantillons qu'en a procurés Isabelle Landy dans Stylistique du XVIIe siècle.

Le champ de la stylistique

Il est ainsi loisible, à ce point de l'exposé, de présenter sommairement le champ de travail stylistique, à la manière d'un champ de fouilles avec ses multiples filons. Ce champ représente un inventaire de tous les postes possibles d'observation stylistique.

A priori, sous réserve des manipulations rythmo-versifiées spécifiques et des jeux microstructuraux plus déliés, on pose que l'unité stylistique de base est le mot – la lexie. On envisage d'un côté l'étude de la forme sonore (volume, variations, apparitions...), de l'autre celle du signifié ; cette dernière à son tour se décompose en un noyau dénotatif et en la connotation. Il est possible d'analyser la dénotation en traits sémiques selon le contexte. Le tout de valeur ajouté que représentent les connotations s'évalue selon des axes axiologiques (mélioratif/péjoratif), selon des appréciations de niveau socioculturel (familier, neutre, recherché) et selon les registres des domaines du monde auxquels renvoie occurremment la lexie. Toutes ces déterminations n'ont de portée que contextuelles ; on peut construire le champ sémantique d'une lexie, ou le champ lexical d'un texte. Et l'on se demande toujours comment apprécier la valeur caractérisante du lexique.

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Ce qui introduit au deuxième poste d'analyse systématique : le mode de la caractérisation. Fonctionne comme caractérisant, dans un message, tout ce qui n'est pas strictement nécessaire à sa complétude syntaxique et informative. Ne posent aucun problème les caractérisants spécifiques, ni les actualisateurs de surface considérés dans leur rôle caractérisant. Les marques en sont soit des morphèmes isolables et non séparables (comme les désinences temporelles-modales), soit des morphèmes isolables et séparables (comme des adverbes), soit des syntagmes, soit des configurations syntactico-rhétoriques séparables – autant de support de la valeur caractérisante. Plus délicat est le jeu des procédures de l'actualisation fondamentale : modalité énonciative, récit et/ou discours, dispositif narratif/descriptif, programmation générique, niveau des réseaux de production et de réception des messages. De même, il n'est pas toujours évident d'isoler l'ensemble des caractérisants généraux : extension sonore, modification lexicale, figure, ordre des éléments, formes et modalités phrastiques, ton... Et aucune détermination langagière ne possède de statut de caractérisant à portée fixe : les valeurs sont variables selon les époques et les genres. La question essentielle que pose au stylisticien le système de la caractérisation, outre celle, plus linguistique, de son rapport avec la thématisation et avec l'information, est celle des marques. Existe-t-il des caractérisèmes identifiables spécifiquement, comme co-marqueurs associés, morphèmes agglutinés, outils indépendants ? Ou bien la modalisation caractérisante se laisse-t-elle plutôt appréhender dans le seul contexte de la réception ? La littérarité, en tout cas, est entièrement saisissable en termes de caractérisation de discours.

Le discours, justement, apparaît dans un certain ordre, de type successif. Il est donc capital d'examiner tous les faits de distribution. En particulier, l'analyse du mouvement de la phrase relève d'une des parties les plus délicates de la stylistique, illustrée par le grand ouvrage de Jean Mourot. Trois entrées sont théoriquement envisageables : la mélodie, diversement marquée ; l'étude de la disposition des masses syntaxiques ; l'éventuelle structuration rythmique (avec prosodie aléatoire sur réminiscence métrique). L'architecture de la phrase dans l'espace sonore représente la caractérisation la plus immédiate et la plus puissante du discours littéraire.

Reste la position transversale, pourrait-on dire, des mouvements divers dus à l'armée des figures. Comme il a été indiqué plus haut, le plus simple et le plus efficace est de n'en distinguer que deux vastes catégories, définissables par opposition mutuelle : les microstructurales et les macrostructurales (y compris, comme figures macrostructurales de second niveau, les lieux, les topoi, les stéréotypes logico-discursifs, ce qui relève de la forme du contenu). Deux questionnements à cet égard : la pragmatique des figures, consubstantielle à leur sens, notamment avec les cas de figures mêlées ou en formation ; et le rapport du rhétorique et du littéraire, sous l'espèce de la dialectique de l'argumenter et du séduire.

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Écrit par

  • : agrégé de lettres, docteur de troisième cycle, docteur ès lettres, professeur des Universités, université de Paris-IV-Sorbonne, directeur de l'Institut de langue française

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