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STYLISTIQUE

Enjeux

Les marques stylématiques

On ne saurait conclure ce panorama sans présenter un certain nombre de concepts clés pour la stylistique à venir, concepts au statut encore incertain, donc fructueux.

On peut poser l'existence de stylèmes. Un stylème ne peut être qu'une corrélation fonctionnelle, entre deux éléments langagiers au moins, variables ou invariants selon les cas, de quelque ordre que ce soit. C'est donc l'abstraction d'un caractérisème de littérarité. Une combinaison, sous forme d'algorithme, de stylèmes définit un style (comme ensemble d'instructions programmatiques) ; et la concaténation, également fixée, de stylèmes dans la matérialisation d'un tissu langagier donné définit un texte.

Ce concept de stylème permet d'approcher clairement la question de fond préalable à toute plongée dans la praxis stylistique : qu'est-ce qui légitime le chantier stylistique ? La recherche du caractère singulier d'une manière littéraire, ou la recherche du caractère propre de la littérarité ? Ce qui amène à distinguer la littérarité générale (un texte est ou n'est pas littéraire), la littérarité générique et la littérarité singulière – pour en isoler des stylèmes correspondants, à supposer, ce qui n'est pas évident du tout, ces trois littérarités asymptotiquement données. On en vient ainsi à poser l'opposition d'un marquage à un non-marquage du discours considéré. Par rapport à un « degré zéro » d'expression, des messages sont marqués ou non marqués. Mais degré zéro d'expression et marquage par rapport à quoi ? Certainement pas par rapport à une norme, à un usage, en référence auxquels se calculerait un écart. Car par quels critères définir la norme ou l'usage ? – et, si l'on y arrivait, rien ne dit que l'on détecterait un écart à valeur de littérarité. Il semble plus méthodique de poser, simultanément, deux ordres de marques possibles. L'un, dans le sillage des travaux de Michael Riffaterre, tient au ressentiment à réception, nécessaire pour établir le marquage : le récepteur (le lecteur) du texte littéraire constitue la mesure de la marque, sa réaction (éventuelle) déclenche et conditionne la réalité d'une valeur de marquage, entièrement déterminée par le jeu entre l'horizon culturel du récepteur et celui de l'objet littéraire produit. L'autre, forcément lié au précédent, dépend de la régulation interne de chaque texte, qui engendre son propre modèle. La marque est à la fois différentielle par rapport à ce qui n'est pas le texte occurrent, et homogénéisante par rapport à ce qui construit le texte. Il peut se produire des faits de contremarquage. Par exemple, un ensemble de déterminations formelles, accumulées, marquent un texte comme appartenant à une tradition littéraire donnée, ou comme relevant d'un ton particulier ; à l'intérieur de cet ensemble, un élément déviant, voire contraire, jouera éventuellement un rôle de contremarquage, caractérisant spécialement l'inflexion de la pratique occurrente.

Vers la sémiostylistique

De la sorte, on reste en présence de la dialectique du plural et du singulier, du différentiel et du typique. Et l'on est confronté aux prestiges de la plus puissante des figures, seul outil véritablement fiable d'investigation, et unique structuration objectale des faits étudiés : la répétition. Ce n'est pas par hasard qu'aujourd'hui, dans une vraie modernité au-delà la statistique lexicale, Pierre Lafon et l'U.R.L. de Saint-Cloud se sont mis à comptabiliser les segments répétés dans le discours. La répétition, par-delà la problématique des genres, est le moteur de ce que devrait être une stylistique sérielle, puisque le fait répété demeure, jusqu'à nouvelle découverte heuristique[...]

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Écrit par

  • : agrégé de lettres, docteur de troisième cycle, docteur ès lettres, professeur des Universités, université de Paris-IV-Sorbonne, directeur de l'Institut de langue française

Classification

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