SUBALTERN STUDIES
Les « Subaltern Studies » désignent à la fois une série d'ouvrages collectifs, publiés entre 1982 et 2004, portant sur l'histoire et la société de l'Asie du Sud (l'Inde et les pays voisins), le collectif de chercheurs qui en a assuré la publication et, plus largement, un mouvement d'idées qui, à partir d'une tentative pour renouveler l'historiographie de l'Inde coloniale, a contribué de façon notable au développement des études « postcoloniales ». Il ne s'agit ni d'une doctrine, ni d'une école, mais plutôt d'un courant de pensée qui, à partir d'un noyau d'une dizaine de chercheurs réunis autour de la figure de l'historien Ranajit Guha, a rassemblé certains des plus brillants intellectuels indiens, à la fois en Inde même et en diaspora.
Naissance d'un courant
Ce courant est d'abord un produit de la conjoncture politique de l'Inde des années 1960 et 1970 et des remaniements historiographiques de ces années. Cette période fut marquée, dans le domaine politique, par l'éclosion d'un mouvement révolutionnaire d'inspiration maoïste connu en Inde sous le nom de « naxalisme » et, sur le plan de l'historiographie, par l'émergence simultanée de deux écoles opposées, l'une d'inspiration à la fois nationaliste et marxiste et l'autre, connue sous le nom d'« école de Cambridge », formée au début des années 1970 autour des historiens John Gallagher et Anil Seal, d'orientation fonctionnaliste et critique par rapport au nationalisme indien. Dans l'introduction au volume I des Subaltern Studies, qui constitue une sorte de manifeste-programme, Ranajit Guha les qualifiait toutes d'eux d'élitistes. Il se fixait pour objectif l'avènement d'une historiographie qui ferait du peuple indien, défini comme les « subalternes », c'est-à-dire « la différence démographique entre la population totale de l'Inde et tous ceux qui en constituent l'élite », l'acteur central de l'histoire du pays.
Ce projet historiographico-politique avait trois inspirations théoriques principales : Mao, Antonio Gramsci et les ténors de l'histoire sociale « radicale » britannique, tel Edward P. Thompson. À Mao, Guha empruntait avant tout son populisme révolutionnaire, son éloge de la révolte (« on a raison de se révolter »). Mais le marxisme ouvert de Gramsci, dans ses Quaderni del carcere (1947-1951), rapidement traduits en anglais, constituait la référence théorique la plus revendiquée (la thématique des subalternes lui a été empruntée), même si l'influence réelle de Gramsci sur Guha paraît avoir été assez superficielle. En revanche, la référence aux historiens marxistes anglais comme Thompson était moins explicite chez lui, mais leur influence sur certains de ses disciples était forte. En fait, c'était l'opposition aux thèses fonctionnalistes de l'école de Cambridge qui, sur le plan historiographique, constituait le véritable ciment du groupe.
Pour les réfuter, Guha cherchait à démontrer l'existence, dans le peuple indien, d'une conscience politique élémentaire, antérieure à toute influence de discours venus de l'élite. Outre des analyses ponctuelles de mouvements spécifiques ignorés par l'historiographie dominante (comme les soulèvements tribaux analysés par David Arnold dans son article du volume I, « Rebellious Hillmen : the Guden-Rampa Risings, 1839-1924 »), cet effort prit la forme d'un livre publié par Guha lui-même en 1983 sous le titre d'Elementary Aspects of Peasant Insurgency in Colonial India. Il y prenait pour objet un ensemble de soulèvements paysans dans l'Inde coloniale du xixe siècle, et tentait de montrer qu'ils n'étaient pas de nature pré-politique, mais reflétaient une conscience politique[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Claude MARKOVITS : agrégé d'histoire, docteur d'État ès lettres, directeur de recherche au C.N.R.S.
Classification
Autres références
-
ANTHROPOLOGIE
- Écrit par Élisabeth COPET-ROUGIER et Christian GHASARIAN
- 16 158 mots
- 1 média
...compte des contextes historiques et culturels de la production des connaissances se retrouve également dans les critiques dites « postcoloniales » qui, avec l'école des subaltern studies, combinent les critiques postmarxistes, poststructuralistes et textuelles. Le travail d'Edward Said sur la production... -
HISTOIRE ATLANTIQUE
- Écrit par Clément THIBAUD
- 3 728 mots
- 2 médias
...le critiquer. Elle rappelle aussi que la construction du monde atlantique a compté avec l'action, souvent décisive, des Africains et des Amérindiens. Parfois inspirées par les courants des postcolonial ou des subaltern studies, beaucoup d'études insistent sur l'apport des Noirs et des Indiens dans la... -
IDENTITÉ
- Écrit par Annie COLLOVALD , Fernando GIL , Nicole SINDZINGRE et Pierre TAP
- 13 231 mots
- 1 média
La montée en force des post colonial studies ou des subalterns studies a en outre contribué à faire apparaître les tenants de l'« invention des traditions » ou de la « construction des identités » comme des auxiliaires de la domination des Blancs cherchant à saper la légitimité des élites indigènes...