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SUBLIMATION, psychanalyse

Invoquer la « capacité de sublimation » pour expliquer en quoi tel individu a échappé à la névrose, comment tel grand homme s'est trouvé produire telle œuvre géniale, n'est-ce point une façon bien dérisoire de répéter la question du pourquoi de la destinée – comme si à cette question une autre réponse était possible, hors l'accomplissement de la vie ? N'est-ce point – pour reprendre l'expression de Nietzsche à propos de la théorie kantienne des « facultés » – effectuer une simple « réponse de comédie » ? La psychanalyse, à laquelle semble revenir de nos jours le privilège d'utiliser cette notion, a-t-elle pu faire autre chose qu'enregistrer le constat de Hölderlin :

Les mortels vivent de salaire et de travail ; dans [l'alternance du labeur et du repos tous sont heureux ; pourquoi donc ne s'endort-il [jamais,l'aiguillon que je porte en mon sein ?

Aussi bien la sublimation se caractérise-t-elle tout d'abord comme un certain type de mutation rapide et admirable. Tel le passage de l'état solide à l'état gazeux, sans phase liquide intermédiaire : les propriétés du corps sublimé demeurent intactes ; bien plus, l'opération apparaît comme un procédé de purification, visant à libérer le corps de ses parties hétérogènes.

Le terme, à la veille du développement de la chimie, était ainsi prédestiné à une transposition dans le registre moral. L'initiative devait en revenir au poète – et commerçant – hambourgeois Brockes, auteur d'une théodicée de la vie quotidienne, Les Plaisirs terrestres en Dieu, dont furent nourris les romantiques allemands. Mais Goethe, le premier, sut dépasser cet usage tout métaphorique, en vue de caractériser la création poétique : les états d'âme, les sentiments, les événements ne sauraient être rapportés au théâtre avec leur naturel originaire ; ils doivent être « travaillés, accommodés, sublimés » (verarbeitet, zubereitet, sublimiert). De même, Victor Hugo, dans La Bouche d'ombre, s'autorise de l'origine chimique du terme, pour réclamer :

La sublimation de l'être par la flamme,de l'homme par l'amour.

La sublimation paraît ainsi une certaine forme de catharsis, celle de l'auteur et non du public, un travail difficile et nécessaire, une conversion de l'être entier à ce qu'il a d'essentiel et de plus vrai.

Esquisser une théorie de la sublimation, ne serait-ce pas alors à bien des égards réassumer l'héritage hégélien, dont on sait d'ailleurs qu'il fut notamment transmis à Freud par l'intermédiaire de James Marck Baldwin, dès 1897 ? De fait, le mouvement de la dialectique, qualifié par Hegel d'aufheben, un critique comme Mure lui donne pour équivalent l'anglais to sublime. Et comment ne pas reconnaître que de la notion anthropologique d'Esprit Freud propose une nouvelle version ? L'Esprit hégélien conçu comme « pouvoir magique de convertir le négatif en être », s'avère « d'autant plus grand qu'est plus grande l'opposition à partir de laquelle il retourne en soi-même ». De même, l'énergie pulsionnelle, susceptible de se conserver tout en niant ses buts primitifs, acquiert par cette négation une puissance d'autant plus haute.

Néanmoins – et telle est la divergence essentielle – la théorie de la sublimation se donne chez Freud un contenu spécifique ; elle s'appuie sur ce que son auteur qualifie cependant lui-même de « mythologie », à savoir une théorie des pulsions. La sublimation consiste à substituer à un but et à un objet sexuels primitifs de nouveaux buts et de nouveaux objets, « éventuellement » plus élevés dans l'estime des autres hommes.

On ne saurait donc comprendre la sublimation indépendamment d'une conception génétique et historique[...]

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Les Souffrances du jeune Werther, Goethe - crédits : AKG-images

Les Souffrances du jeune Werther, Goethe

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