SUBLIMATION, psychanalyse
Les sources infantiles et l'excès de plaisir
L'exigence de sublimation des pulsions sexuelles paraît ainsi liée au caractère exceptionnel des circonstances qui en rendent possible l'éveil. Dès 1892, Freud introduit la notion de « contre-vouloir », qui, à l'intérieur même de la sexualité, contredit le sujet, et ronge en profondeur l'élan érotique. Quelles sont alors les forces susceptibles d'entamer ce que Hegel appelle le « travail du négatif » et qui est l'âme du procès de sublimation ?
« À mon avis, écrit Freud le 1er janvier 1896, il doit se trouver dans la sexualité une source indépendante de déplaisir ; si cette source existe, elle peut stimuler les sensations de dégoût et conférer sa force à la moralité. » Freud n'a cessé de souligner l'importance de la « préformation organique », sur laquelle s'étaie l'éducation, lors de la « construction » de digues psychiques, capables de réfréner les pulsions sexuelles. L'action différée de représentations mnémoniques et l'incompatibilité des différentes pulsions sexuelles sont ainsi les symptômes de l'impuissance du désir à s'« interpréter », c'est-à-dire à sortir de la prison spatiale d'un souvenir déterminé ou d'une zone érogène particulière, pour « se dire » et s'assumer tout au long d'une existence. C'est ainsi que Freud décrit l'opposition entre la réalité d'« un » désir et son accomplissement comme le germe même de toute notre vie psychique, doublet, paire contrastée, sceau d'un conflit originaire, dont la marque ambiguë ne cesse de réapposer ses vides et ses pleins sur le fil de notre destinée.
Qu'est-ce à dire, sinon que le désir surgit de la non-satisfaction même de la pulsion ? Il importe effectivement qu'un vide soit creusé pour que l'objet, de par sa perte, éveille le désir, c'est-à-dire la pulsion qui auto-engendre son objet, pour autant que l'objet n'existe que sur le mode du perdu. Telle est la signification non seulement de la théorie de l'étayage – où l'érogénéisation est fonction de la non-satisfaction d'une pulsion du moi –, mais aussi du mythe d'Œdipe, dans lequel seul l'interdit du père révèle à lui-même le désir comme désir de la mère.
Le désir apparaît ainsi dès l'origine comme visant non seulement l'absent, mais l'impossible. Autrement dit, la sublimation, qui semblait d'abord un procédé privilégié destiné à ennoblir les souvenirs, s'avère une métamorphose essentielle à l'homme, de par son historialité ; bien plus, la condition sine qua non de sa naissance à lui-même. Si chacun d'entre nous était dans son enfance un pervers, il fut également un individu sublimant ses premiers objets et premier buts sexuels. Et l'on pourrait dire que la sublimation est à la sexualité ce que la sexualité est à l'instinct : une perversion de l'énergie initiale, qui emprunte toute sa force à l'énergie déplacée. La question est alors de savoir pourquoi la sublimation est plus intense dans un cas que dans l'autre, et sur quels mécanismes elle repose.
Si l'on considère la sublimation comme un procédé pour normaliser et rendre tolérable la sexualité, la « normalité » dans le domaine sexuel apparaît tout aussi mystérieuse. « Pour la psychanalyse, écrivait Freud, l'intérêt exclusif de l'homme pour la femme n'est pas une chose qui va de soi [...], mais bien un problème qui a besoin d'être éclairci. » Dans les cas dits normaux, on constate la concentration de toutes les formes de désir sur un même objet, obtenue grâce à la conjonction du courant tendre issu de la sexualité infantile et du courant sensuel, propre à la puberté, courant qui implique la répudiation des objets sexuels de l'enfance. Deux types de [...]
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Écrit par
- Baldine SAINT GIRONS : maître de conférences en philosophie à l'université de Paris-X-Nanterre
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Média
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