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SUBLIME, littérature

Le beau et le terrible

Abolissant la conscience des moyens, le sublime se donne comme pur effet. En indiquant ce qui demeure irréductible aux règles du discours, ce qui les excède, il rejoint l'interrogation très ancienne sur la finalité de l'art. Mais cette interrogation ne se limite plus au cadre de l'art de persuader (qui veut plaire pour instruire), ni même à la littérature ; elle s'élargit notamment aux arts plastiques : c'est, au xviiie siècle, la naissance de l'esthétique. Renouant avec la Poétique (env. 340 av. J.-C.) d'Aristote, elle accorde une place centrale à l'imitation, la peinture. Il ne s'agit plus seulement de plaisir – du moins celui qui est analysé comme sensation – mais de ce que l'Anglais Shaftesbury qualifie dès 1711 (Characteristics) de « plaisir désintéressé » : un « sentiment » du beau, c'est-à-dire de l'harmonie. À l'article « Beau » de l'Encyclopédie (1751), Diderot reprend l'exemple du « Qu'il mourût » – tiré d'Horace (1640) et déjà commenté par Boileau – pour montrer que le mot « sublime » s'apprécie en fonction de la perception de ses rapports avec le tout de l'œuvre : conception organique du beau dont le sublime apparaît ici comme la pointe. Mais, à partir surtout de la Recherche philosophique sur l'origine de nos idées du sublime et du beau (1757-1759) d'Edmund Burke, les deux termes auront tendance à nettement s'opposer : d'une part, l'appréhension de la proportion, de la belle forme ; de l'autre, l'émoi devant le gigantesque, l'informe, le sans-mesure – ce que Burke ne craint pas de caractériser comme « terrible » (goût que l'on retrouve chez les peintres de l'époque pour les paysages grandioses, déluges, tempêtes – que Diderot théorise à son tour dans le Salon de 1767 à propos de Joseph Vernet) et qui rejoint en effet une longue tradition sur les paradoxes de l'émotion esthétique. Emmanuel Kant, dans la Critique de la faculté de juger (1790), proposera une élaboration de cette distinction qui marque l'aboutissement de sa propre philosophie : le « grand absolument » ne peut être l'objet d'un savoir. Il y a révélation dans l'expérience du sublime d'un infini de la liberté par confrontation avec l'immensité irreprésentable de la nature, ce que la doctrine des facultés permet d'analyser à partir du désaccord entre entendement et imagination (l'expérience du beau manifestant quant à elle leur accord). La métaphysique doit désormais céder la place à une anthropologie.

Venue de la rhétorique, la notion prend ainsi une ampleur inattendue, au point qu'on a pu définir le romantisme comme « une expansion du sublime et une réduction de la littérature à cette seule dimension » (Michel Crouzet). Schiller, auteur d'un essai Sur le sublime (1801), l'investit dans la tragédie. Victor Hugo en fait, avec le grotesque, l'étendard d'un nouveau théâtre (Préface de Cromwell, 1827), qui se réclame de tout ce qu'a rejeté le classicisme français, à commencer par Shakespeare. Il libère la fascination de « l'énergie » (Diderot), de « l'horreur délicieuse » (Burke), voire du « crime » (Sade), pour aboutir à l'amoralisme du roman selon Stendhal. Il nourrit une poétique visionnaire, de Wordsworth au surréalisme (Benjamin Péret, Anthologie de l'amour sublime, 1956) et au-delà. Appel de l'absolu et vertige pour la raison, l'ambivalence du sublime est, enfin, celle de l'idéal qui, pour Michelet et le Hugo des Misérables, anime l'Histoire.

— François TRÉMOLIÈRES

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