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SUBSTANCE

Une idée reçue particulièrement tenace occupe le devant de la scène philosophique depuis l'époque du positivisme d'Auguste Comte, c'est-à-dire depuis plus d'un siècle : l'idée selon laquelle la métaphysique serait morte avec Kant, à la fin du xviiie siècle, pour ne laisser la place qu'à des recherches éparses, empiriques et positives, se constituant comme sciences particulières en des domaines distincts et se substituant peu à peu aux divers champs prospectés jadis par la philosophie.

Il suffit de se référer à l'histoire réelle des idées pour se convaincre du caractère artificiel de cette idée reçue : en fait, avec Hegel, Nietzsche, Schopenhauer, Heidegger ou Sartre, la pensée philosophique poursuit sa recherche et son aventure à côté et au-delà des sciences positives. Mieux : la philosophie n'hésite pas à reprendre sans cesse le problème fondamental de cette métaphysique dont on annonçait la mort et qui est le problème de l'être. Dans son rapport au vouloir-vivre, au temps, ou au néant, c'est toujours sur l'être que la métaphysique moderne réfléchit.

On peut être plus précis : si elle s'étend jusqu'à Sartre et Heidegger dans sa formulation générale, la réflexion sur l'être s'étend au moins jusqu'à Hegel dans sa formulation particulière qui est une référence à la substance. Certes, puisque depuis Aristote l'être au sens plein est la substance même, on pourrait admettre que les philosophies de Sartre ou Heidegger sont aussi des métaphysiques de la substance. Mais il ne convient pas d'identifier trop vite l'être en général et cette forme éminente de l'être qu'est la substance. Concluons seulement que la métaphysique est bien vivante au xxe siècle comme perpétuation de la réflexion sur l'être, et qu'elle est notamment à son plus haut degré d'éminence avec Hegel dont la philosophie se constitue paradoxalement comme une phénoménologie de la substance. Comme chez Aristote et comme chez Spinoza (en un sens évidemment différent), la substance se donne chez Hegel comme le point focal de la métaphysique et, plus précisément, comme son origine et sa fin.

Substance et transcendance

Aristote

C'est la définition de la « philosophie première » qui, chez Aristote (à travers les livres Γ, Λ, Ζ, Θ de la Métaphysique), va se constituer comme l'origine simultanée de la métaphysique occidentale et de la philosophie d'Aristote ; la philosophie première est la science de l'être en tant qu'être et non pas la connaissance particulière de tel ou tel domaine de la réalité. Certes, cette définition de la première tâche de la philosophie (appelée « métaphysique » par les successeurs d'Aristote) pose d'abord un problème de terminologie que les critiques (et notamment Pierre Aubenque dans Le Problème de l'être chez Aristote) ont fort bien mis en évidence : la métaphysique (ou philosophie première comme science de l'être) est-elle identique à la théologie, ou science de Dieu ? On peut supposer (et ici prévaut l'interprétation heideggérienne) que c'est l'ontologie, comme authentique science de l'être, qui constitue le véritable domaine de la métaphysique, et qu'elle est à ce titre antérieure à la théologie, qui n'étudie qu'un être particulier, fût-il transcendant et inconnaissable en fait. Mais on peut aussi penser que chez Aristote (et c'est ici l'interprétation traditionnelle) la théologie n'est que l'ontologie à son plus haut niveau puisqu'elle est la science d'un être par excellence qui est Dieu et qui, surtout, est la véritable όυσ́ια, l'essence par excellence, celle justement qu'on peut désigner par le terme de substance.

Étienne Gilson le met parfaitement en évidence,[...]

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