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SUBSTANCE

Substance et immanence

Giordano Bruno

À vrai dire, ce mouvement de renouveau et cette « renaissance » avaient commencé de s'effectuer avant que Descartes n'entreprît sa réflexion, mais la tradition philosophique passa ce fait sous silence jusqu'à une époque récente : c'est Giordano Bruno qui, le premier, édifie sans le savoir sur les ruines de la scolastique une ontologie audacieuse de la substance comme unité de la nature et de Dieu.

Rappelons tout d'abord que, pour Bruno comme pour Aristote et pour Plotin, la philosophie est essentiellement recherche sur le premier principe ; mais celle-ci cesse d'être méditation sur la transcendance de l'être (premier moteur immobile ou « un » indéterminé) et elle opère le passage à l'immanence du mouvement du temps et de la détermination. L'être n'est pas vide (comme le montre Hegel pour le concept traditionnel d'être) ; il est au contraire le suprême concret puisqu'il est le monde et la nature même. Il n'en est pas moins vrai que cet être qui fonde tous les êtres d'une façon immanente ne leur est pas identifiable ; il se nomme dès lors substance. Le monde est un, et c'est pourquoi il est substance ; mais il comporte deux aspects liés qui sont Dieu et l'univers. Dieu lui-même peut être considéré comme matière et comme forme : du point de vue du contenu, il est précisément matière (infinie et intelligible, certes) ; et du point de vue du sens ou de la forme, il est intellect, œil du monde, c'est-à-dire et âme et intelligence. Par cette description, l'orthodoxie du langage aristotélicien est certes sauvegardée, mais d'une manière purement verbale : en fait, la voie est ouverte pour une ontologie nouvelle qui pourra assumer l'identité de l'être et du monde conçus comme substance, c'est-à-dire comme objectivité infinie, permanente et diversifiée.

Spinoza

Ce fut, on le sait, le rôle de Spinoza de porter à son extrême conséquence ce mouvement de la pensée. Le philosophe de la substance est par excellence Spinoza, et tout se passe, dans l'histoire des doctrines de la substance, comme si l'on montait d'Aristote vers Spinoza pour ensuite redescendre (en régressant) de Spinoza, vers Leibniz puis Hegel. La définition spinoziste de la substance (comme ce qui est en soi et par soi, n'ayant par conséquent besoin de nul autre que soi pour être et pour être pensé) restera le modèle et le paradigme de toutes les doctrines futures, qu'elles s'en cachent, comme chez Leibniz, ou qu'elles l'avouent, comme chez Hegel.

Malgré cette espèce de perfection du système qui est la perfection de la conceptualisation de la substance, la doctrine spinoziste ne tombe pas sous le coup de la critique hégélienne du concept d'être qui, loin d'être le plus concret, serait le plus abstrait et le plus vide des concepts, puisqu'il ne saurait échapper à la détermination qu'en se renversant dans le néant. En fait, pour Spinoza, la substance n'est pas la négativité mais la suprême positivité puisque ce sont les déterminations attributives ou modales de l'être qui seront des négations. Cela signifie que le suprême concret n'est pas dans un élément privilégié qui serait l'être au cœur des êtres et qui aurait fonction de transcendance, d'excellence et de justification (comme principe de raison ou fondement de valeur), mais la totalité même de tous les êtres conçus dans leur unité et dans leurs rapports. La substance, en effet, n'est pas séparable des attributs qui nous permettent de la penser, ni des modes qui sont l'objectivité déterminée de ces attributs. Parce que la substance est le tout, elle n'est ni séparable ni séparée du tout ; comme totalité se fondant soi-même, elle est donc l'indépendance et l'autonomie[...]

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