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SUCCESSION (dir. J. Armstrong)

La foire aux vanités

Série chorale par excellence, Succession donne chair à une distribution pléthorique dont il est parfois difficile de distinguer les premiers des seconds rôles, à l’image de Greg, sous-fifre que la série ne cesse de placer dans des situations embarrassantes sans pour autant l’accabler ni l’empêcher de se sortir d’affaire. Adepte de l’humour cringe (grinçant, caustique), le scénariste britannique Jesse Armstrong, déjà remarqué pour les comédies noires Peep Show (Channel 4, 2003-2015) et The Thick of It (BBC, 2005-2012), aime à inverser les rôles et à croquer les puissants de ce monde comme de médiocres arrivistes dénués d’envergure, tant ils sont engoncés dans leur hypocrisie, leur couardise et leur absence d’idéaux.

Rabelaisienne à souhait, la série confronte une esthétique de drame chic (compositions stables, couleurs froides, variations musicales autour d’un thème d’ouverture mêlant classique et hip-hop) à un style « mockumentaire », parodie de documentaire, la caméra portée cherchant alors à suivre le mouvement en effectuant de rapides panoramiques et en captant les expressions des visages grâce à des zooms avant fugaces et des mises au point donnant une impression de qui-vive permanent. Ce penchant rapproche un peu plus Succession de Veep (2012-2019), autre série de HBO centrée sur une dirigeante hystérique livrée à la cour incessante de tartuffes aussi médisants qu’incompétents. Dans les deux cas, la liberté langagière offerte par le diffuseur permet de multiplier les saillies verbales outrageantes et de présenter la « casse » comme une activité très prisée par les édiles de l’industrie du divertissement, ceux-ci s’exprimant souvent sous forme de phrases choc et autres punchlines cinglantes, voire ouvertement féroces.

Les joutes rhétoriques auxquelles se prêtent les Roy et consorts enrobent les multiples ressorts tragicomiques de la série : rencontre de l’élitiste et du trivial, constitution de binômes possédant leur propre hiérarchie sur l’échelle du pouvoir, jeux de dupes pour tenter de deviner ce que l’autre a en tête ou anticiper tous les scénarios possibles, coups de Trafalgar consistant à assigner de force une tâche ingrate (comme l’annonce d’un licenciement massif et non justifié) ou un ultimatum intenable, quête de parachute individuel dans une situation de crise générale, chantage psychologique, prises de décisions puériles défiant toute déontologie, plans de communications ne virant finalement pas au fiasco (ce qui produit un effet de surprise au carré), négociations abruptes fondées sur des préceptes guerriers (diviser pour mieux régner, garder ses ennemis près de soi, considérer les ennemis de ses ennemis comme des amis), etc.

Faisant preuve d’une grande maîtrise narrative et formelle, Succession articule chacune de ses saisons autour d’un enjeu central, tout en conférant à chaque épisode, et même à de nombreuses scènes, le souci de la problématisation qui caractérise les œuvres les plus mémorables. La série se termine en beauté, Jesse Armstrong ayant bénéficié du dernier mot pour conclure la quatrième et ultime saison.

— Benjamin CAMPION

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Écrit par

  • : docteur en études cinématographiques et audiovisuelles, enseignant contractuel à l'université Paul-Valéry-Montpellier III

Classification

Média

<em>Succession</em>, J. Armstrong - crédits : Courtesy Graeme Hunter/ HBO

Succession, J. Armstrong