SUFFRAGE UNIVERSEL
Le suffrage universel consiste en la reconnaissance du droit de vote à l'ensemble des citoyens d'une nation, sans distinction de condition sociale, d'origine, de race ou de sexe. Le suffrage universel est donc historiquement associé à la notion de démocratie pluraliste, fondée sur le principe de la libre désignation des gouvernants par le peuple souverain. Le suffrage est dans ces conditions non seulement universel, mais aussi égal, secret et sincère. Il n'a de véritable sens que dans un système de réelle concurrence électorale, où plusieurs candidats et/ou partis distincts, avec des programmes alternatifs, sont proposés au choix des citoyens. Il est cependant utile de préciser que le suffrage universel peut aussi malheureusement servir à cautionner des « élections sans choix », selon l'expression de Guy Hermet, ce qui est le cas dans les systèmes de parti unique ou de multipartisme apparent propre aux États totalitaires ou autoritaires. Ces consultations électorales prétendent légitimer le système vis-à-vis de l'extérieur par une vague caution démocratique, et, à l'intérieur, mobiliser des masses qu'on veut dociles pour ratifier les choix du pouvoir.
Du principe d'universalité à son application
En démocratie, le vote est devenu un droit librement exercé mais reste formellement un « devoir » : pour lutter contre l'abstentionnisme, le vote est parfois obligatoire (en Belgique depuis 1893, en Australie depuis 1924 jusqu'à récemment, exemples suivis par le Luxembourg, le Danemark, la Grèce, la Turquie, le Brésil et par quelques cantons suisses). Si le manquement est assorti de sanctions administratives et pécuniaires, comme c'est le cas en Belgique, les électeurs hésitent alors à « aller à la pêche ». Les abstentionnistes – volontaires ou mal intégrés socialement – oublient ou ignorent que le droit de suffrage a été conquis de haute lutte. Les nombreuses discriminations réservant le droit de vote à une minorité ont pour l'essentiel disparu entre la fin du xixe siècle et le milieu du xxe siècle.
La principale expression de cette exclusion du plus grand nombre de la vie politique a été le suffrage censitaire, qui, au xixe siècle, n'autorisait à voter que les personnes payant un certain montant de contribution directe, appelé cens électoral. C'est ainsi que la Grande-Bretagne, à la veille du Reform Act de 1832 qui élargit une première fois le cens, comptait 800 000 électeurs pour une population de 30 millions d'habitants. Mais une autre forme de cens, plus subtile, n'a disparu que récemment. Il s'agit du suffrage capacitaire, qui reposait sur une sélection en apparence scolaire (savoir lire et écrire). Ainsi, dans la plupart des États du sud des États-Unis, jusqu'en 1964, les Noirs devaient prouver l'ancienneté de leur appartenance à la nation américaine et aussi pouvoir commenter la Constitution de 1787. En Italie, les analphabètes âgés de plus de trente ans ne votent que depuis 1912. Enfin, indépendamment des principes de droit auxquels s'attachent les juristes, certains sociologues dans la mouvance de Pierre Bourdieu s'inquiètent aujourd'hui d'un « cens caché », leurs études des pratiques sociales mettant en évidence la faible participation électorale des classes les plus démunies.
Quant aux femmes, au nom du « droit naturel » des théologiens et des philosophes ou encore de la « division naturelle du travail »des marxistes,elles ont été longtemps privées de tout droit sur le plan politique, cette exclusion n'étant d'ailleurs que le pendant de leur incapacité sur le plan civil (l'égalité civile n'a été acquise en France qu'avec la réforme des régimes matrimoniaux en 1965). Les conservateurs désireux de garder leurs épouses à la maison et les progressistes inquiets de l'influence supposée de[...]
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Écrit par
- Dominique CHAGNOLLAUD : professeur de droit public, directeur du Centre d'études constitutionnelles et politiques de l'université de Paris-II
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