SUFFRAGE UNIVERSEL
Secret, sincérité et égalité des suffrages
La maxime de Bailly, maire de Paris en 1789, selon laquelle « la publicité est la sauvegarde du peuple » révèle bien le goût pour les grands principes de la période révolutionnaire, mais en aucun cas son souci des conditions pratiques de la liberté du suffrage. La philosophie politique élitiste des Lumières avait clairement signalé l'enjeu de cette question. Montesquieu écrivait dans L'Esprit des lois II, 2 : « Lorsque le peuple donne ses suffrages, ils doivent être publics ; et ceci doit être regardé comme une loi fondamentale de la démocratie. Il faut que le petit peuple soit éclairé par les principaux, et contenu par la gravité de certains personnages. » Un siècle plus tard, Tocqueville relate dans ses Souvenirs comment il emmène « ses » paysans en cortège aux urnes lors de la première élection du Parlement au suffrage universel en 1848, et se félicite qu'ils aient presque tous voté pour lui.
Le secret du vote
Pour garantir l'indépendance de l'électeur contre toute intimidation, manipulation ou corruption, l'idée de rendre le vote secret va donc faire lentement son chemin au cours du xixe siècle. L'affirmation de ce principe consacre dans les démocraties occidentales une conception individualiste de l'acte électoral : chaque électeur est formellement libéré, dans le secret de l'isoloir, de toute allégeance sociale. Le secret du vote implique matériellement le bulletin anonyme, son enveloppe opaque, l'urne électorale réglementaire, enfin ce confessionnal laïque qu'est l'isoloir. Ces procédures techniques, de plus en plus strictement réglementées, se mettent en place à partir de la seconde moitié du xixe siècle. C'est ainsi que la France adopte finalement l'isoloir par une loi de 1913, après trente ans de débats récurrents.
La sincérité du vote
Le suffrage universel visant à exprimer fidèlement les choix libres et secrets arrêtés par les électeurs lors du scrutin, toute manœuvre pour fausser ses résultats ruine la sincérité du vote et entraîne son annulation. La fraude électorale, du bourrage d'urnes au détournement de cartes d'électeur en passant par le truquage des listes (les « faux électeurs »), a tendance à diminuer dans les démocraties occidentales, sans jamais disparaître. Les tentations restent fortes dès lors que le résultat risque d'être serré ou qu'on souhaite une élection triomphale. Pour toutes ces raisons, les procédures du scrutin sont de nos jours placées sous un strict contrôle. En cas de contestation, le juge électoral, qu'il s'agisse de l'Assemblée comme en Belgique, en Italie ou aux Pays-Bas, du juge constitutionnel (ou administratif pour les élections locales et régionales) comme en France ou du juge ordinaire comme en Grande-Bretagne, doit vérifier scrupuleusement la sincérité du suffrage, la solution du contrôle judiciaire garantissant certainement la plus grande impartialité.
L'égalité des suffrages
« Un homme égale une voix ». La démocratie ne serait qu'un leurre si l'universalité du suffrage n'avait pas comme corollaire l'égalité des voix. Aujourd'hui, le suffrage inégalitaire n'existe plus dans aucun système électoral d'État démocratique. Le vote multiple, permettant par exemple au diplômé d'Oxford de voter dans sa circonscription et au bureau de vote de l'Université, a disparu au milieu du xixe siècle. Quant au vote familial, qui entend donner plusieurs voix à l'électeur père de famille pour représenter ses enfants et son épouse (comme en Belgique avec le système du « vote plural » adopté en 1893), il procède d'une interprétation biaisée de l'universalité propre à l'idéologie nataliste.
Le principe d'égalité des voix peut aussi être indirectement[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Dominique CHAGNOLLAUD : professeur de droit public, directeur du Centre d'études constitutionnelles et politiques de l'université de Paris-II
Classification
Autres références
-
ABSTENTIONNISME
- Écrit par Daniel GAXIE
- 6 313 mots
- 3 médias
Dans le même sens, le droit de suffrage a longtemps été considéré comme « naturellement » masculin. Pour cette raison, les hommes étaient plus enclins à l'exercer après qu'il fut devenu plus authentiquement « universel ». Ce n'est que dans la période immédiatement contemporaine que les inégalités de... -
BELGIQUE - Histoire
- Écrit par Guido PEETERS
- 20 670 mots
- 16 médias
...tirer sur les grévistes, tout comme l'auraient fait les libéraux doctrinaires. Le Parlement était en effet exclusivement composé d'électeurs censitaires. Les socialistes et quelques libéraux de gauche comprirent qu'il ne pourrait survenir de changements substantiels sans l'introduction du suffrage universel.... -
BONAPARTISME
- Écrit par Jean-Pierre RIOUX
- 1 026 mots
Phénomène spécifiquement français, le bonapartisme rend compte à la fois des pratiques politiques, économiques, sociales, culturelles des règnes de Napoléon Ier ou surtout de Napoléon III et de l'action politique des hommes ou des groupes qui entendent en transmettre l'héritage après...
-
CINQUIÈME RÉPUBLIQUE - La période gaullienne (1958-1969)
- Écrit par Pierre BRÉCHON
- 8 909 mots
- 15 médias
...l'autorité du chef de l'État, sachant que son successeur ne jouirait pas de sa légitimité historique. Pour cela, il souhaite une élection du président au suffrage universel direct et non plus par un collège de notables. Un tel choix populaire est en fait cohérent avec la pratique instaurée depuis 1959... - Afficher les 29 références