SUFFRAGE UNIVERSEL
Suffrage universel et mandat politique
Dans les régimes démocratiques contemporains, le peuple souverain élit directement ses représentants ou, ce qui est plus rare, indirectement (par exemple le Sénat en France et la présidence de la fédération aux États-Unis). Conquête intéressant tout d'abord les Parlements européens au xixe siècle, le suffrage universel a finalement trouvé à s'appliquer, malgré les expériences cuisantes de la IIe République (1848) ou de la Constitution de Weimar (1919), à l'élection des chefs d'État. La France, en ce qui la concerne, inaugure ce mouvement en 1962. Elle a fait depuis lors des émules, en particulier dans plusieurs des nouvelles démocraties de l'ancien bloc communiste (Russie, Bulgarie, Roumanie ou Pologne).
Deux conceptions de la souveraineté
Il n'en demeure pas moins que les élus, malgré l'avènement du suffrage universel, ont un mandat qui reste encore de nos jours étrangement « représentatif ». En vertu de la théorie élaborée par Sieyès, la souveraineté n'appartient pas au peuple mais à la nation, personne morale distincte des individus qui la composent. C'est le sens de l'article 3 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément ». Ne pouvant s'exprimer elle-même, la nation parle par la bouche de ses représentants élus ou simplement désignés. Le vote n'est pas un droit reconnu à tous les citoyens mais une fonction réservée aux plus « éclairés » d'entre eux : la théorie de la souveraineté nationale s'accommode de la sorte très bien du suffrage censitaire (électorat-fonction). Ainsi, le représentant est donc celui de la nation et non celui des électeurs dont il ne reçoit aucun mandat impératif et qui ne peuvent le révoquer. Favorisant la liberté parlementaire, cette théorie permet de légitimer aussi des formes de représentation non élective comme celle du roi ou des juges.
Inspirée de la démocratie athénienne et systématisée par Rousseau, la théorie de la souveraineté populaire fait au contraire de chaque citoyen le détenteur d'une parcelle de souveraineté inaliénable. Le vote est donc un droit pour tous de légiférer (électorat-droit), ce qui implique nécessairement un régime de démocratie directe fondé sur le suffrage universel. Toute idée de représentation est donc exclue. En pratique, le peuple ne peut toujours s'assembler (si ce n'est dans quelques cantons suisses). Dès lors, il doit disposer de mandataires qui exécutent sa volonté : leur mandat est impératif et révocable. Seule difficulté dans ce schéma : les décisions étant prises à la majorité, unique mode d'expression de la volonté générale qui fait la loi pour tous, les opinions minoritaires sont, d'après Rousseau, réputées erronées.
La logique démocratique en Europe a très largement battu en brèche le principe du mandat représentatif. L'universalisation du suffrage a en effet déterminé l'essor des partis politiques, transformateurs des attentes sociales en solutions politiques avec programmes à l'appui. Ce sont eux qui sélectionnent les futurs « représentants de la nation », lesquels dépendent à la fois de « leurs électeurs » et de leur parti pour être réélus. Sur le plan juridique, la reconnaissance dans la plupart des Constitutions d'Europe du rôle des partis politiques dans l'expression du suffrage a un peu plus ébranlé la fiction représentative. Au fond, le Vieux Continent a plus ou moins suivi l'exemple des États-Unis, où, derrière la fiction du mandat représentatif, l'idée qui prévaut est celle d'une relation de confiance entre les électeurs et les élus : « Trust me ! ». L'envers de ce [...]
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Écrit par
- Dominique CHAGNOLLAUD : professeur de droit public, directeur du Centre d'études constitutionnelles et politiques de l'université de Paris-II
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