SUFFRAGETTES
Le terme de suffragettes apparaît en 1903 en Grande-Bretagne pour désigner les militantes d'un mouvement nouveau, l'Union politique et sociale des femmes, fondée à Manchester par Emmeline Pankhurst. Il ne fait pas nécessairement double emploi avec celui, jusqu'alors courant, de « suffragistes », dans la mesure où il est employé pour symboliser un changement de stratégie : dans la revendication féministe, au lieu de se contenter de la persuasion pacifique, le mouvement entend recourir à la violence pour obtenir l'égalité politique des deux sexes et en particulier le droit de suffrage et l'éligibilité aux Communes. Les pacifistes, menées par Millicent Fawcett, sont rassemblées dans l'Union nationale des sociétés pour le vote de la femme (National Union of Women Suffrage Societies), fondée en 1897. Des recherches menées dans les années 1980 ont mis en lumière la diversité des efforts de réflexion et la combativité de cette société, souvent jugée trop modérée pour être efficace : elle a en fait connu une tendance active qui a cherché à associer le combat social et le combat politique, à convaincre syndicats et mouvement travailliste en plein essor de coopérer à une démarche égalitaire n'excluant pas d'autres aspects de la sujétion des femmes, en matière d'emploi et de salaires ; cette aile « radicale » devient même, dans les années 1920 et 1930, le noyau d'un « néo-féminisme » dont les combats concernent autant le droit à la « propriété de son corps », à la régulation des naissances, voire à l'avortement, que le perfectionnement de l'égalité civique proprement dite. Mais on a alors changé d'époque et le terme de « suffragettes » a épuisé son contenu. Il importe de restreindre son emploi aux premières décennies du xxe siècle, jusqu'à la réforme électorale de juillet 1918 ou à la loi de 1928.
Au cours de ces années, la cause de l'émancipation des femmes repose sur la vision des concessions démocratiques consenties aux hommes en 1867 et en 1884-1885. Elle s'appuie sur les écrits théoriques d'un John Stuart Mill dont les deux ouvrages, Considerations on Representative Government (Le Gouvernement représentatif) et Subjection of Women (La Sujétion des femmes), en 1867 et 1869, ont, bien après la mort de leur auteur en 1873, alimenté la propagande suffragiste. Elle bénéficie du paradoxal octroi aux femmes du droit de voter dans les comités de l'Assistance publique (1834), les municipalités (1869), les conseils de comté (1888) et d'être éligibles aux conseils de district et de paroisse (1894), ce qui pose un problème de cohérence. Elle tire argument de l'exemple donné par la Nouvelle-Zélande (1893) et le Commonwealth australien (1902). Quatre motions présentées aux Communes de 1873 à 1906 en sa faveur y avaient obtenu une majorité. Le retard d'une réforme aussi constamment sollicitée tient à l'attitude de femmes fort éminentes qui, telle Béatrice Potter-Webb elle-même, ont, en 1889, souligné l'inutilité, voire la nocivité d'un changement, et dont certaines, derrière Mrs. Humphrey Ward, ont fondé la Ligue anti-suffragiste ; il est aussi le résultat de préjugés plus ou moins avoués, de l'inachèvement de la démocratisation en faveur des hommes, de la priorité accordée par bien des progressistes aux réformes sociales, de la répugnance des cabinets successifs à s'engager, même dans le cas du ministère radical d'Asquith, à partir de 1908. De plus, en 1908 et 1912, les plus résolus partisans des suffragettes ont renâclé à voter des lois de « compromis » (conciliation) qui n'auraient accordé le suffrage qu'à des propriétaires ou des femmes indépendantes et auraient ainsi créé une insupportable discrimination sociale.
La tension ne cessa de monter dans[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Roland MARX : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
Classification
Médias
Autres références
-
MOUVEMENT SUFFRAGISTE
- Écrit par Muriel ROUYER
- 247 mots
- 1 média
La mobilisation des femmes pour obtenir le droit de vote débute au milieu du xixe siècle dans le cadre de la démocratisation du Parlement britannique. Leur cause avait les sympathies du mouvement chartiste et de libéraux progressistes, tel John Stuart Mill, qui appuiera la première campagne suffragiste....
-
CURIE MARIE (1867-1934)
- Écrit par Natalie PIGEARD-MICAULT
- 2 360 mots
- 3 médias
...dernière de la nécessité du combat pour le droit de vote des femmes, Marie Curie acceptera, en 1921, de signer une pétition en faveur de la libération des suffragettes emprisonnées – la seule autre pétition connue signée par Marie Curie aura pour objet la libération des anarchistes Sacco et Vanzetti, condamnés... -
FAWCETT MILLICENT GARRETT (1847-1929)
- Écrit par Encyclopædia Universalis
- 472 mots
Millicent Garrett Fawcett fut, pendant cinquante ans, le chef de file des suffragettes britanniques. Née le 11 juin 1847 à Aldeburgh, dans le Suffolk, Millicent Garrett est la septième des dix enfants de l'armateur Newson Garrett. Ce radical soutiendra pendant des années les efforts de sa fille aînée,...
-
PANKHURST EMMELINE (1858-1928)
- Écrit par Roland MARX
- 893 mots
Le nom de Mrs. Pankhurst, associé à celui de sa fille Christabel, évoque avant tout les combats en faveur de l'émancipation civique des femmes et le mouvement des « suffragettes » anglaises avant 1914. Préparée par ses parents à se battre pour des réformes radicales, elle trouve en son mari,...
-
ROYAUME-UNI - Histoire
- Écrit par Encyclopædia Universalis , Bertrand LEMONNIER et Roland MARX
- 43 835 mots
- 66 médias
...règne d'une femme, la démocratie anglaise se caractérise pourtant par le refus de prêter attention à une active revendication féministe. Le mouvement des suffragettes, en fait très divisé, se heurte aux préjugés anciens et aussi, même dans les partis plus avancés, comme le Parti socialiste, apparu en 1883,...