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SUGER (1081-1151)

Suger, abbé de Saint-Denis de 1122 à sa mort, a laissé un triple héritage : il a donné à l'unification nationale, centrée en puissance dans le domaine royal, une tâche civilisatrice, à l'art gothique la prise de conscience de son esthétique, à l'histoire de France les bases de l'archivistique. Son œuvre a eu pour cadre l'abbaye de Saint-Denis, qu'il a réformée dans les cinq premières années de son abbatiat et dont l'église reconstruite devint le monument symbolique de la monarchie française et le modèle du nouvel art gothique. Historien, il a été « créateur d'histoire » auprès de Louis VI et Louis VII, avant de devenir régent de France, en 1147, pour la durée de la IIe Croisade. Administrateur, agronome, diplomate et guerrier, il a conçu de vastes programmes d'art et il en a exposé le message spirituel en critique d'art et en iconographe. Il occupe une place considérable entre les grands abbés du Mont-Cassin et de Cluny, d'une part (au xie siècle et au début du xiie siècle), et, d'autre part, Bernard de Clairvaux en France et Wibald en Allemagne, comme lui chefs monastiques et politiques, diffuseurs de nouvelles formules artistiques. L'abbatiale de Saint-Denis, mausolée de la monarchie capétienne et église de pèlerinage d'où partit la IIe Croisade, est la synthèse gothique de Cluny, du panthéon des rois de Léon, de Saint-Jacques de Compostelle et du Mont-Cassin.

« Médiateur et lien de paix »

Ces termes par lesquels le moine de Saint-Denis, qui fut son premier biographe, résume le caractère de Suger s'appliquent à ses multiples activités. Il a restauré l'ordre avec la justice dans les régions ravagées par les féodaux entre la vallée de Chevreuse et l'Orléanais, n'usant de la force qu'à l'extrême limite de la nécessité. Il opéra une retraite mesurée devant les attaques de saint Bernard, forçant bientôt l'admiration et attirant la collaboration de l'abbé de Clairvaux. Après qu'il eut ménagé la retraite d' Étienne de Garlande, le sénéchal de Louis VI, l'influence de saint Bernard put se faire sentir dans les conseils de la monarchie. L'amitié des deux abbés aboutira à la IIe Croisade (dont Suger condamna la direction stratégique et non le principe) et à la préparation d'une croisade de revanche. Suger est ambassadeur auprès du pape Calixte II dans les années où l'empereur Henri V va être obligé de régler les rapports entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel conformément aux vues de l'Église. En France, l'équilibre fut préservé dans ce domaine grâce à une harmonie entre la monarchie et l'épiscopat qui prévint l'explosion d'une nouvelle querelle des Investitures dans le royaume et fit des évêchés de Beauvais, Reims, Châlons-sur-Marne, Laon, Langres, Noyon, où le roi exerce son droit de nomination, les avant-postes d'une fédération française. Quand se dessina en 1124 le danger de coalition germano-anglaise contre le royaume, tous les évêques des sièges limitrophes du domaine royal et la noblesse de Bourgogne et de Champagne se rallièrent autour du roi à Saint-Denis. Louis VI, en recevant des mains de Suger l' oriflamme de Saint-Denis (qui allait rester le drapeau national jusqu'à Azincourt), devenait l'homme-lige du saint patron, protecteur de l'abbaye et du royaume de France. Cependant, Suger garda toute son estime pour Henri Ier Beauclerc ; le roi d'Angleterre, ainsi que Thibaut IV de Blois, comte de Champagne, un féodal récalcitrant, comptera parmi les principaux donateurs de Saint-Denis.

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Écrit par

  • : professeur émérite, université de Montréal, Kress Fellow, Galerie nationale, Washington, membre de la Société royale du Canada

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