SUGER (1081-1151)
L'architecture gothique, art d'harmonie et de synthèse
L' abbatiale de Saint-Denis fut construite pour résorber, sans l'absorber complètement, l'église carolingienne. La façade, « porte du ciel » et portail royal, bâtie la première, à la mort de Louis VI, quand Suger commence à écrire sa vie, fut dédiée le 9 juin 1140, au cours d'une cérémonie placée sous le signe de l'union des personnes divines dans la Trinité. Après une seconde campagne de trois ans et trois mois, le chevet fut consacré le 11 juin 1144 par les pairs ecclésiastiques et les évêques du royaume avec l'assistance de l'évêque de Cantorbéry, entourant le roi de France « très chrétien », christus Domini (l'oint du Seigneur). Louis VII éleva lui-même les reliques de saint Denis et de ses compagnons de la crypte dans les nouvelles châsses installées dans le chœur, « cité du Grand Roi » (Psaume XLVII, 3). Les extrémités occidentale et orientale enchâssèrent ainsi, dans le double écrin de constructions rendues lumineuses par d'abondantes percées, la nef carolingienne, qu'il n'y a nulle raison de se représenter obscure et qui était une relique monumentale, parce que ses murs passaient pour avoir été consacrés par le Christ. L'harmonie entre les parties avait été ménagée selon « des calculs et des tracés géométriques ». Les anciennes murailles qui servaient de trait d'union entre les deux extensions en recevaient aussi l'illumination, car « brille ce qui est brillamment relié à des parties brillantes de lumière ». Sous le portail central, consacré au Jugement dernier, les portes de bronze doré devaient éclairer les esprits afin qu'« à travers les lumières de vérité » (les mystères de la mort et de la résurrection du Christ, sculptés sur les panneaux) ils puissent se rendre jusqu'à la « vraie lumière à laquelle le Christ donne accès ». Le maître-autel fut aussi enrichi sur ses côtés de deux bas-reliefs d'or qui s'ajoutèrent à ceux qu'avaient donnés Dagobert et Charles le Chauve, « de sorte que l'autel apparût entièrement entouré d'or ». Il y eut peu d'architecture romane dans le domaine royal, et tout s'est passé comme si Saint-Denis, tout en consacrant l'architecture gothique ainsi que l'expression monumentale du nouveau royaume en croissance, renouait avec l'architecture carolingienne, ressuscitant la colonne antique comme norme des proportions et développant la notion d'espace en vision de lumière. Suger envisagea même la croisée d'ogives comme le lien jeté entre les deux parois de la travée dont l'unité repose dans le Christ, pierre d'angle et clé de voûte dans l'œuvre d'édification spirituelle, qui va de pair avec la construction, de plus en plus élevée, de l'édifice matériel.
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Écrit par
- Philippe VERDIER
: professeur émérite, université de Montréal,
Kress Fellow , Galerie nationale, Washington, membre de la Société royale du Canada
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