SUGER (1081-1151)
Symbolisme sugérien de la révélation
La symbolique incorporée dans les programmes de construction et de décoration à Saint-Denis renoue, par l'intermédiaire de l'esthétique dionysienne des « lumières », avec la typologie qui servit de méthode iconographique à l'art paléochrétien et à l'art carolingien. Elle est fondée sur la correspondance entre les signes inscrits dans l'Ancien Testament et les actes miraculeux et fondateurs des sacrements dans la vie du Christ. Par exemple, le signe tau est le symbole de la croix, du salut et de la rédemption dans le baptême. Les ombres de la Loi contiennent les lumières de la grâce. Dans les mystères chrétiens se dévoilent les promesses cachées sous la matérialité des événements de l'Ancienne Alliance. La compréhension du monde créé et la découverte du sens eschatologique de l'histoire sont rendues possibles à travers un système de voiles et d'écrans ; Dieu a disposé dans l'univers et le long du temps la chaîne des symboles qui, en tamisant sa lumière, empêchent que la révélation n'en soit aveuglante. L'homme entrevoit les mystères comme suspendus en filigrane dans la lumière-couleur, la couleur n'étant que la brisure irisée du rayon à la source invisible contre la matière. Les matériaux splendides jetaient Suger dans une transe contemplative étrange, suscitée par les radiations enfouies dans ces condensations matérielles de la lumière et par la vision de la cause dernière. Ils lui paraissaient les mieux appropriés à la transsubstantiation opérée dans le sacrifice de la messe, qui répète le drame de la Rédemption, et il y voyait les réceptacles du divisionnisme lumineux inhérent à la structure du cosmos. Le phénomène du passage de la matière à la lumière, sous-jacent au changement du vin en sang sacramentel, se manifeste merveilleusement dans le calice fait d'une coupe de sardonyx moiré, d'origine alexandrine, qu'il fit monter (cf. art gothique, pl. II). Dans les verrières de Saint-Denis, les symboles de l'Ancien Testament et les mystères du Nouveau se confrontent comme des miroirs de saphir. À la grande croix implantée à l'entrée du chœur, œuvre que l'on ne connaît que par des descriptions et qui mesurait près de cinq mètres, le Christ d'or, à la poitrine ruisselante de rubis, cloué par des saphirs au-dessus de gerbes de pierres précieuses et de perles, dominait un pilier carré émaillé de soixante-huit plaques composées comme des médaillons polylobés de vitrail et explicitant les « types » de l'Ancien Testament et les « antitypes », ou révélations, du Nouveau. Quelques splendeurs du trésor de Saint-Denis sont encore réparties entre la galerie d'Apollon du Louvre et le cabinet des médailles de Paris. Le vase de porphyre transformé en aigle par l'addition d'ailes de bronze est la métamorphose d'un objet en objet d'art chargé du sens anagogique de l'oiseau solaire.
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Écrit par
- Philippe VERDIER
: professeur émérite, université de Montréal,
Kress Fellow , Galerie nationale, Washington, membre de la Société royale du Canada
Classification
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