SUGGESTION, psychologie
Est suggestion toute idée, toute parole, toute impression qui agit sur le psychisme du sujet et se transforme en acte. Les travaux d'Hippolyte Bernheim (1837-1919), médecin chef de file de l'école de Nancy, sur la suggestion ont d'abord pour enjeu de dégager la question de son apparence mystique et de tout ce qui pourrait faire concevoir la suggestion comme un phénomène « merveilleux ». Bernheim rejette le magnétisme animal de l'Autrichien Franz A. Mesmer (1734-1815), doctrine inspirée par la philosophie et la théosophie des xvie et xviie siècles, d'après laquelle les corps célestes exercent une influence sur les corps animés, en particulier sur le système nerveux, par l'intermédiaire d'un fluide remplissant tout l'univers et qu'il suffirait de diriger ; Mesmer, après avoir utilisé les aimants, invoquera l'effet d'un fluide propre au thérapeute et recourra à ce magnétisme comme instrument de guérison. Mais Bernheim se démarque également de l'hypnotisme de l'Écossais James Braid (1795-1860), dont la méthode consiste à placer le patient dans un état de sommeil spécial, dit hypnotique, dans lequel on peut observer des phénomènes d'anesthésie, d'hallucinabilité et de suggestibilité. Bernheim s'oppose enfin à l'école de la Salpêtrière et notamment à Charcot (1825-1895) à qui il reproche de se servir de l'hypnose pour provoquer expérimentalement l'apparition des symptômes hystériques et démontrer par là sa théorie.
Selon Bernheim, les phénomènes de suggestion ne sont fonction ni d'un état magnétique ni d'un état hypnotique ou de sommeil provoqué ; ils sont fonction d'une propriété physiologique du cerveau, la suggestibilité, c'est-à-dire l'aptitude du cerveau à recevoir ou à évoquer des idées et sa tendance à les réaliser. On voit par là que les phénomènes de suggestion sont pour ainsi dire banalisés ; ils apparaissent comme des phénomènes normaux présents dans tout comportement humain. Certes, la suggestibilité peut être augmentée par certains états : une foi religieuse intense, des passions vives, le sommeil pendant lequel les facultés de contrôle et de raisonnement sont engourdies ou l'état d'hypnose ; mais ces situations particulières ne créent qu'une différence de degré par rapport à l'état ordinaire du sujet ; la suggestibilité reste une propriété psychophysiologique normale. Cette conception de la suggestion confère à la notion un caractère un peu simpliste, du fait de sa très grande extension. En effet, Bernheim en vient à désigner par là, aussi bien qu'idées et paroles, « nos instincts natifs, notre innéité, l'éducation, l'exemple, l'imitation, la persuasion, le sentiment, les émotions, les passions, les illusions, les erreurs, les impressions apportées par nos sens, les excitations cérébrales par l'alcool, les toxiques, les toxines, les impressions viscérales, [...] en un mot tout le milieu extérieur et notre milieu intérieur » (De la suggestion, 1916). Finalement, toute forme de relation est suggestion.
Sur le plan thérapeutique, la théorie de Bernheim, fondée sur le refus de réduire l'organisme humain à une somme de propriétés physico-chimiques, physiologiques et biologiques, a ouvert la voie de la psychothérapie, utilisant la suggestion verbale et la persuasion comme moyens de guérison et créant un support original entre médecin et malade. Freud s'y est intéressé, puisque, après son séjour auprès de Charcot en 1886, il rencontre Bernheim à Nancy et traduit certains de ses livres ; mais, par la suite, il lui faudra rejeter l'hypnose, puis la suggestion pour former le concept de transfert qui à la fois éclaire la véritable nature du lien médecin-malade — non pas influence extérieure, mais réactivation d'un conflit archaïque interne — et fait[...]
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Écrit par
- Sophie SPITZ : D.E.A. de philosophie, professeur certifié de philosophie à l'École normale de l'Oise, Beauvais
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