SUHARTO (1921-2008)
Né le 8 juin 1921 dans le hameau de Kemusuk, à l'ouest de Yogyakarta, dans le centre de Java (dans ce qu'on appelait alors les Indes néerlandaises), Suharto se prétendait enfant d'une famille pauvre de la campagne. Mais il fut très tôt pris en charge par une branche aisée de sa famille qui vivait à Wonogiri. Durant l'occupation japonaise (1942-1945), il rejoignit la milice nationaliste supplétive des Défenseurs de la patrie (Pembela Tanah Air, Peta), dont il devint rapidement l'un des principaux officiers. Il prit part, de 1945 à 1949, aux combats contre les troupes hollandaises dans les rangs républicains, aux côtés de Sukarno qui deviendra le père de l'indépendance en 1949. L'année suivante, à son retour d'une expédition militaire à Makassar (Sulawesi), durant laquelle il se lia d'amitié avec la famille de Bacharuddin Jusuf Habibie (qui deviendra son successeur à la tête de l'État indonésien en 1998), il prit le commandement d'une brigade de l'armée de terre à Salatiga (Java), sous l'autorité de la division Diponegoro. Il s'engagea alors dans la lutte contre le mouvement islamiste rebelle du Darul Islam, puis devint commandant d'un régiment d'infanterie à Surakarta. Il fut nommé commandant de la division Diponegoro à l'automne de 1956. Trois ans plus tard, il entra à l'École militaire de Bandung. Il fut promu, en 1961, à la tête des forces de réserve de l'armée de terre, un poste clé créé pour doter l'armée d'unités mobiles équipées de matériels de pointe. Renvoyé à Makassar en 1962, il assuma la direction de troupes destinées à « libérer » la Papouasie-Nouvelle-Guinée, toujours sous la tutelle des Pays-Bas. Il fut à nouveau nommé à la tête des forces de réserve stratégique, rebaptisées Kostrad, en mars 1963.
Un événement dramatique, sur lequel toute la lumière n'a pas encore été faite, le hissa en quelques jours à la tête de l'armée. Dans la nuit du 30 septembre au 1er octobre 1965, six généraux furent kidnappés puis assassinés par une faction d'officiers de l'armée de l'air plus ou moins liés au Parti communiste indonésien (P.K.I.). Suharto organisa la riposte dans la capitale, puis à Java. L'événement, dès lors désigné par l'acronyme Gestapu ou G-30-S (mouvement du 30 septembre), fut le prétexte pour éliminer le P.K.I. Les massacres anticommunistes de 1965-1966, perpétrés par des milices appuyées par la faction conservatrice de l'armée de terre, firent entre 600 000 et 1,2 million de morts. Suharto, le nouvel homme fort de Jakarta, écarta dans le même temps Sukarno du pouvoir. En mars 1966, il obtint de ce dernier une lettre de passation de pouvoirs puis, en mars 1968, il se fit élire président par un Parlement mis au pas. En quelques années, le régime autoritaire de l'« Ordre nouveau » se mit en place. Entouré d'une garde rapprochée de stratèges et de conseillers, Suharto consolida son pouvoir au sein de l'armée et élabora un discours axé sur la promesse du développement économique (Pembangunan). Grâce aux victoires successives du parti au pouvoir (le Golkar), Suharto se fit réélire président tous les cinq ans à partir de 1971.
Le bilan de l'Ordre nouveau fut sanglant. Suharto décida, en 1975, l'annexion du Timor oriental, qui se solda par l'extermination d'un quart de la population de l'île. Il entreprit aussi, dès 1976, de violentes campagnes de répression du mouvement séparatiste Aceh Libre (Gerakan Aceh Merdeka, G.A.M., dans le nord de Sumatra), puis du mouvement indépendantiste papou : Organisation pour la Papouasie libre (O.P.M.). Les mouvements syndicaux et étudiants devinrent également les cibles de son courroux, tout comme le Parti démocratique indonésien (P.D.I.), dont le quartier général fut attaqué par l'armée en juillet[...]
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Écrit par
- Romain BERTRAND : directeur de recherche à la Fondation nationale des sciences politiques, Paris
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