SUICIDE ET CONDUITES SUICIDAIRES
Le suicide et les conduites suicidaires sont des actes humains qui interpellent la société. S’ils ont longtemps été étudiés sous un angle philosophique, religieux et légal, ils sont devenus un objet d’étude de la psychiatrie puis de la sociologie naissante au xixe siècle, avant d’intéresser la psychologie et l’épidémiologie au siècle suivant, et enfin les neurosciences à partir de la fin du xxe siècle. Grâce à ces différents travaux et éclairage, nous connaissons désormais un peu mieux les actes suicidaires, actes qui s’avèrent toutefois complexes car multifactoriels et polymorphes, très largement individuels mais avec une certaine influence collective et sociale. Ils nécessitent une lecture clinique et psychologique qui inscrit la période aiguë suicidaire dans l’histoire plus longue du sujet. Une grande part de mystère subsiste tandis que persistent de nombreuses idées reçues (le suicide serait un problème des temps modernes et des sociétés riches, il serait un acte de lâcheté, de courage, de liberté…), compliquant prédiction et prévention.
Définition
Les conduites suicidaires se définissent comme l’ensemble des actes réalisés par un sujet à l’encontre de lui-même et avec une certaine intention de mourir. Selon l’issue du geste, on parlera de suicide abouti (plutôt que « réussi ») lorsque le sujet décède des suites de son geste, et de tentative de suicide lorsque l’acte n’a pas conduit à la mort, quelles que soient les conséquences physiques (aucune, sédation légère, nécessité de soins intensifs, lésions majeures irréversibles…). Cette première distinction n’est pas sans poser problème, car une personne peut accomplir un geste suicidaire faiblement intentionnel et mourir par accident, ou réaliser un geste très intentionnel et y survivre. Il existe donc une certaine porosité entre ces deux catégories d’actes. Il est en outre habituel d’étendre l’étude des conduites suicidaires aux pensées suicidaires dans la mesure où tout acte suicidaire est précédé de pensées suicidaires, et où certains actes sont proches d’être réalisés, qu’ils soient avortés – le sujet était sur le point de l’accomplir, mais a changé d’avis au dernier moment – ou interrompus – par l’intervention d’un tiers. Dans de rares cas (non abordés ici), l’acte suicidaire sera précédé d’un homicide ; il s’agit alors d’un homicide-suicide. Enfin, on désigne par le terme « suicidaire » une personne présentant des idées suicidaires ; par « suicidant », une personne ayant réalisé une tentative de suicide ; par « suicidé », une personne décédée par suicide.
Ces définitions excluent donc les actes auto-infligés sans intention de mourir (en anglais non-suicidal self-injury) tels que les automutilations et scarifications. Toutefois, la mesure de l’intention suicidaire étant souvent complexe, notamment a posteriori – sujet décédé n’ayant pas laissé de note, suicidant minimisant son geste, ou au contraire le grossissant pour obtenir de l’aide, frontières parfois floues entre certaines scarifications et tentatives de suicide par lacération, etc. –, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et sa Classification internationale des maladies (CIM) regroupent l’ensemble des « gestes auto-infligés » (self-harm) au sein d’une même catégorie, sans présager de l’intention suicidaire. Il existe de fait sur le plan clinique une certaine « parenté » entre les gestes auto-infligés suicidaires et non suicidaires.
Il est par ailleurs fréquent d’exclure des conduites suicidaires d’une part l’euthanasie et les suicides assistés, considérant que ces « procédures » surviennent habituellement dans le cadre d’une maladie physique incurable et avec l’aval d’un médecin (mais des demandes de plus en plus fréquentes émanent de personnes souffrant de maladie mentale) ; d’autre part,[...]
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Écrit par
- Fabrice JOLLANT : professeur des Universités, psychiatre, Université de Paris (France) & McGill University, Montréal (Canada)
Classification
Médias