SUICIDE ET CONDUITES SUICIDAIRES
Éléments de compréhension par les neurosciences
Depuis le début du xxie siècle, plusieurs groupes de recherche ont tenté de comprendre les conduites suicidaires à l’aide d’explorations biologiques et neurocognitives. Précisons, dès maintenant, que ces approches ne résoudront pas à elles seules la question du suicide et qu’elles n’ont, à ce jour, pas eu d’application pratique. Elles permettent, en revanche, d’apporter un complément de compréhension et un nouvel éclairage aux données épidémiologiques, cliniques, psychologiques ou sociales sur lesquelles elles s’appuient.
Tout d’abord, il semble exister chez de nombreux patients à risque suicidaire un dysfonctionnement de plusieurs systèmes biochimiques incluant la sérotonine et le cortisol. La sérotonine cérébrale est un neuromédiateur sous-tendu par un petit nombre de neurones finement régulés qui prennent leur origine dans le tronc cérébral (à la base du cerveau) et se projettent sur l’ensemble du cerveau. La sérotonine sert notamment à diverses régulations (l’homéostasie), que ce soit de l’alimentation, du sommeil ou de la sexualité, mais aussi des processus de récompense et de punition, des interactions sociales, des émotions et des comportements inhibiteurs. Le cortisol, quant à lui, est sécrété par les corticosurrénales (glandes qui se trouvent au-dessus des reins) sous contrôle de plusieurs régions cérébrales (notamment l’hypothalamus et l’hypophyse). Le cortisol est une des principales hormones du stress. Des études ont révélé que les personnes qui avaient effectué des gestes suicidaires, mais aussi celles qui étaient le plus à risque de mourir de suicide dans les études de suivi, montraient des signes de dysfonctionnement de ces deux grands systèmes biochimiques (Turecki et Brent, 2016). Ces deux types d’anomalies représenteraient des facteurs biologiques de vulnérabilité au suicide, sous-tendant notamment les difficultés de gestion des émotions (tristesse, stress, colère, désespoir, douleur psychique) et de contrôle des comportements (sensibilité à la récompense et à la perte, impulsivité, agressivité, passage à l’acte).
Sur le plan neurocognitif, des études ont mis en évidence l’existence, chez les personnes suicidantes, d’une tendance à prendre des décisions risquées (Jollantet al., 2005). Ces décisions sont marquées par le choix de récompenses à court terme en dépit d’un risque important au long court. Cette tendance aux choix risqués pourrait se transmettre pour une part dans les familles. En outre, les personnes suicidantes seraient plus sensibles à l’injustice, au rejet et à la désapprobation. Des difficultés cognitives affectant l’attention, la mémoire ou l’inhibition cognitive ont été également montrées. Ici encore, ces fragilités cognitives favoriseraient l’émergence d’idées suicidaires de fuite en cas de problèmes, et le passage des idées aux actes. Sur le plan anatomique, des études d’imagerie fonctionnelle ont suggéré que le risque suicidaire soit associé à des déficits de connexion entre diverses régions cérébrales corticales – fronto-pariétales notamment – et sous-corticales – noyaux gris centraux (Wagneret al., 2019).
Certaines études ont enfin mis en évidence une réponse inflammatoire à bas bruit dont l’explication reste encore incertaine (Brundinet al., 2017), mais qui pourrait représenter une forme de réponse physiologique aux stress sociaux.
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Écrit par
- Fabrice JOLLANT : professeur des Universités, psychiatre, Université de Paris (France) & McGill University, Montréal (Canada)
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Médias