SUJET
Il n'est point de sujet sans dépendance affirmée à l'égard d'une puissance dont ce sujet relève, de par les hasards de sa constitution anatomique, de son caractère et de sa situation au sein d'une classe sociale et d'une constellation familiale déterminées, mais aussi de par les lois et coutumes de son pays, les études et les recherches en cours et, d'une façon générale, les conditions culturelles et politiques qui sont celles de son époque. « Derrière l'être aimé, notait W. Benjamin, l'abîme du sexe se referme comme celui de la famille. » Car qui pourrait ignorer que le sujet de l'amour est aussi celui du sexe et de la tribu, comme il est par ailleurs celui du droit, du prince ou de la science ? Bref, tout se passe comme si l'être humain se découpait suivant les différentes incidences qui ont été arbitrairement adoptées à son égard : travailleur ou individu sexué, malade à soigner ou cadavre à disséquer, être inconséquent ou sujet responsable, matière à pétrir ou personne à respecter...
En ce sens, on pourrait dire que tout sujet participe du medium, puisqu'il se situe dans une zone tierce entre l'être indéterminé toujours en gésine et le point de vue transsubjectif qu'on adopte pour donner consistance à ce qui serait, sans une distribution particulière de la lumière, simple masse amorphe. Aussi bien ne saurait-on jamais partir d'un sujet isolé et absolu. Et, de fait, l'on connaît les difficultés rencontrées dans l'élaboration de la notion du « droit subjectif » par Grotius, Hobbes ou Rudolf von Jhering : comment le droit pourrait-il être tiré analytiquement de la notion de sujet, comment pourrait-il être son attribut, lors même qu'il résulte d'une attribution moins de « pouvoirs » que de « biens » dans une organisation générale du monde grâce à laquelle se trouve distribué à chacun son « lot » ?
Or, dans la perspective ouverte par Freud, Lacan joint et oppose aux différentes interprétations possibles de la notion de sujet celle de sujet psychanalytique, compris comme sujet de l'inconscient. Il faudrait alors d'emblée définir celui-ci d'une façon tautologique comme ce qui est justiciable de l'investigation psychanalytique. Ainsi prétendrait-on éviter le contresens si naturel, pourrait-on dire, par lequel le sujet d'une praxis se trouve confondu avec l'être humain dans son entier. « L' homme de la science n'existe pas, mais seulement son sujet », écrit Lacan. Aussi bien nulle discipline ne pourra atteindre un statut scientifique, si elle ne parvient à déterminer – à « purifier » et à « réduire » – son sujet, de manière à se mettre en situation d'opérer correctement sur lui.
Cartésianisme et psychanalyse
Un premier point est essentiel : le sujet psychanalytique vient au jour en même temps que la science moderne et, plus exactement, au temps où l'impérialisme de celle-ci, se réfractant du côté de la logique, apprend à connaître ses bornes dans l'impossibilité d'une démonstration de consistance et l'indécidabilité formelle de ses énoncés. Le sujet psychanalytique, c'est celui que la science moderne s'est efforcée en vain de « suturer » et à partir duquel elle a pu se définir de cette impuissance même. Bref, c'est son « corrélat antinomique », comme l'écrit Lacan.
Mais revenons au sujet cartésien, surgi comme on le sait d'un rejet du Savoir : le sujet doutant exclut de lui quelque chose – tout le champ de l'inévident – pour parvenir à une certitude, dont on connaît pourtant le peu d'ampleur : même si le malin génie me trompe, je pense, donc je suis ; et « la proposition je suis, j'existe est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce, ou que je la conçois en mon[...]
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Écrit par
- Baldine SAINT GIRONS : maître de conférences en philosophie à l'université de Paris-X-Nanterre
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