SUJET
Le signifiant et le désir
Le sujet se définit comme l'effet du signifiant ; mais le signifiant ne cesse d'effacer la trace du sujet grâce auquel il déroule ses chaînes. Ce que Lacan résume dans la formule suivante : « Le signifiant est ce qui représente un sujet pour un autre signifiant. » Si le sujet est représenté par le signifiant, ce n'est pas pour un autre sujet : un signe y suffirait. Si le sujet est représenté par le signifiant, c'est par rapport à d'autres signifiants que précisément il n'est pas.
Soit donc le sujet dans les limbes. Il semble d'emblée forclos du jeu des signifiants et pourtant il ne peut advenir comme sujet que dans la mesure où le jeu des signifiants le fait signifier, le pétrifiant par le mouvement même où il le met au monde. Or, lorsque la relation s'établit entre l'innommable du sujet et la spécificité des signifiants qui s'organisent à sa place, l'ordre dans la mise en place de la chaîne signifiante devient essentiel : si un signifiant unaire représente d'abord le sujet, le signifiant binaire aura pour effet d'annuler ce même sujet, dont il révélera l'inconsistance. De fait, comment le sujet parviendrait-il à se penser comme une unité parmi d'autres ? Le sujet s'apparaît toujours à lui-même comme « exception », comme « moins-un ». Autrement dit, la fonction accordée au sujet comme à « un un » ne saurait être celle de l'unité unifiante (Einheit), mais celle de l'unité distinctive (Einzigheit) que Lacan appelle le « trait unaire ».
Or, si la psychanalyse donne au phallus une fonction privilégiée dans l'identification du sujet, c'est parce que le phallus, pris comme concept de la jouissance et distingué de toute réalité anatomique, devient le signifiant de la distance qui sépare le désir de son objet, comme il est celui de l'impuissance du signifiant à rejoindre un signifié univoque, comme il est la métonymie par excellence. De fait, le sujet, ne pouvant se signifier lui-même en vertu de son propre clivage, attend de l'autre quelque espèce d'initiative privilégiée, telle qu'il le signifie enfin en lui-même. Bref, le désir, où Descartes avait d'emblée reconnu la marque du sujet, m'attache à l'autre moins comme désiré que comme désirant, c'est-à-dire à l'autre en tant qu'il a lui-même quelque manque à combler. Le désir se définit alors comme « désir de l'Autre », formule volontairement ambiguë, puisque le désir apparaît à la fois comme émanant de l'Autre et comme se rapportant à l'Autre, mais à cet Autre qui, doté d'une majuscule, n'est que le « pur sujet », le sujet mythique, retourné dans ce lieu de naissance d'où il s'abolit comme sujet incarné. « Vénus est proscrite du monde » et la substance du sujet n'est pas autre chose que la jouissance dont il est coupé, un mur et un monde séparant l'homme de la femme, comme l'homme de lui-même.
C'est pourquoi « il n'y a pas d'autre signe du sujet que celui de son abolition comme sujet », et c'est pourquoi la psychanalyse, en tentant de « subjectiver » ce que le désir « assujettit », ne rend à lui-même qu'un sujet troué, qu'un sujet castré, auquel elle a appris à connaître le « manque-à-être » fondamental qui se dissimule derrière son désir. Mais, si l'objet du désir n'en est que le prétexte, si ce que Lacan nomme l'objet a n'est qu'un voile dissimulant au sujet sa carence, encore est-ce à ce niveau que s'instaure l'élan du sujet vers autrui dans un mouvement métonymique qui est celui même de l'existence.
Dans cette perspective, une des originalités de Lacan est d'exploiter les ressources de la topologie de façon à donner de la structure subjective les[...]
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Écrit par
- Baldine SAINT GIRONS : maître de conférences en philosophie à l'université de Paris-X-Nanterre
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