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SUPERARCHITECTURE. LE FUTUR DE L'ARCHITECTURE, 1950-1970 (D. Rouillard)

La « superarchitecture » dont Dominique Rouillard retrace la généalogie a fait l'objet de nombreuses expositions en France ces dix dernières années, du Centre Georges-Pompidou à Paris au Fonds régional d'art contemporain-Centre à Orléans, en passant par le Nouveau Musée de Villeurbanne ou le musée de Valence. Sous-titré « le futur de l'architecture, 1950-1970 » (soit le futur imaginé pour ces deux décennies, celui d'avant les années de crise), ce panorama architectural publié aux éditions de La Villette (Paris, 2005) dit une fois encore combien notre image du bonheur est colorée par le temps où nous vivons. D'abord oubliée, puis intensément réactivée, la mémoire de cette « superarchitecture » traverse désormais, entre fascination et répulsion, l'imaginaire des plus jeunes architectes contemporains, rappelant qu'il y a toujours eu des rendez-vous tacites entre les générations.

Trop souvent présentés par les institutions muséales comme des « pièces », les projets d'architecture concernés se voient, grâce au travail et à l'ambition théorique de l'auteur, architecte et historienne de l'art, replacés dans leur temps. Aussi, les termes d'une possible postérité sont enfin fixés, hors des habituelles spéculations idéologiques ou doctrinales. Sur plus de cinq cents pages remarquablement illustrées, les contre-utopies défilent, entre noirceur et absurde, humour et ironie. Il s'agit soit d'inonder Florence, soit d'assécher les canaux de Venise pour sauver les centres historiques des avatars du tourisme de masse ; de bétonner les vingt arrondissements de Paris, sauf la Seine et les ponts, jusqu'à hauteur de la tour Eiffel ; de raconter l'histoire de Douze Villes idéales gouvernées chacune par un système tyrannique dictant leur organisation ; de dessiner un Monument continu traversant des territoires variés pour relier les lacs des Alpes, enjamber les vallées et couper indifféremment en deux villes ou déserts...

On le voit, ces projets, s'ils n'ont pas cherché à occuper l'espace, s'en sont préoccupés, beaucoup. Ils ont montré le visage qu'il prendrait s'il était entièrement occupé suivant les principes et logiques de l'urbanisme des années 1960, qui virent s'ériger en périphérie ce que l'on nommait alors les « grands ensembles ». Déjà, il ne s'agissait (presque) plus de changer le monde, mais de le sauver.

Alors que la tempête du progrès soufflait, des architectes déjà installés – des compagnons du Team Ten, le couple anglais Peter et Alison Smithson ou l'équipe Candilis-Josic-Woods – ont commencé par adresser quelques questions inquiètes à la modernité triomphante de la fin des années 1950, autour de l'identité ou des processus de rationalisation et d'unification. Ils ont été suivis et rapidement dépassés par leurs cadets plus radicaux, les Italiens d'Archizoom et Superstudio, les Anglais d'Archigram, les Autrichiens Walter Pichler et Hans Hollein, ou le trio Haus-Rucker-Co.

Tous vont porter loin la critique du développement urbain en intensifiant volontairement les contradictions à l'œuvre. « Projet négatif », « contes immoraux », « accélérer la réalité », « déconditionnement » : telles sont les expressions retenues par l'auteur pour scander ses chapitres, car il s'agit bien d'une course au progrès, à la fois surenchère et défi fatal en ces temps de conquête de l'espace, d'édification du Mur de Berlin et d'avancées technologiques.

Contemporains lucides et cousins lointains de ces mouvements d'architectes radicaux, les situationnistes constataient en 1964 : « Nous sommes forcément sur la même route que nos ennemis – le plus souvent, les précédant – mais nous devons y être, sans aucune confusion, en ennemis. Le[...]

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Écrit par

  • : sociologue, chargé de recherche au laboratoire A.C.S., E.A. Paris-Malaquais, C.N.R.S., U.M.R. 7136 A.U.S.

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