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SUPERSTITION

Vers une phénoménologie de la superstition

Le caractère profondément polémique du concept de superstition tel que le saisit la recherche historique paraît devoir rendre vain tout essai de cerner de manière objective son essence, puisque la superstition n'aurait précisément pas d'essence propre : si elle est bien la religion de l'autre, toute forme de religiosité peut être appréhendée comme superstitieuse, et inversement. De même, vouloir faire de la superstition l'aspect irrationnel de la religion, c'est du même coup l'identifier à la dimension fondamentale de cette dernière, à moins de distinguer entre un irrationnel « rationnel » – en ce sens que, sans résulter de l'exercice de la droite raison, il serait susceptible d'être rationnellement pensé (la raison pouvant, en le prenant pour objet de la connaissance, l'analyser et rendre compte de ses causes et de son fonctionnement) – et un irrationnel « supra-rationnel », qui serait radicalement étranger et inaccessible à la raison. La superstition relèverait du premier genre d'irrationnel, la religion du second. C'est d'une certaine manière ce qu'a fait Bergson, dans Les Deux Sources de la morale et de la religion, en distinguant entre la « religion statique » – définie comme « une réaction défensive de la nature contre le pouvoir dissolvant de l'intelligence » et chargée de « combler, chez des êtres doués de réflexion, un déficit éventuel de l'attachement à la vie » – et la « religion dynamique », qui est « une prise de contact, et par conséquent une coïncidence partielle, avec l'effort créateur que manifeste la vie », effort qui « est de Dieu, si ce n'est Dieu lui-même ». La superstition, selon Bergson, correspond donc à la seule religion statique, à la religion socialisée et instituée.

En voyant dans toute religion une illusion, l'approche psychanalytique rend également caduque une opposition de nature entre religion et superstition : comme la religion, la superstition est une croyance dans la motivation de laquelle la réalisation d'un désirinconscient est prévalente ; l'une et l'autre sont des constructions artificielles d'une réalité surnaturelle, fondées sur le mécanisme de la projection, que la psychanalyse a pour fonction de retraduire en une psychologie de l'inconscient. Dans Psychopathologie de la vie quotidienne, Freud s'est notamment penché sur la croyance aux présages et aux signes, en assimilant ce type de superstition aux actes manqués. « C'est l'ignorance consciente, explique-t-il, et la connaissance inconsciente de la motivation des hasards psychiques qui forment une des racines psychiques de la superstition. C'est parce que le superstitieux ne sait rien de la motivation de ses propres actions accidentelles et parce que cette motivation cherche à s'imposer à sa reconnaissance qu'il est obligé de la déplacer en la situant dans un monde extérieur. » La superstition n'est donc pas absurde, mais renferme un élément de vérité : le Romain superstitieux qui renonce à un projet parce qu'en sortant de chez lui pour aller le réaliser il trébuche sur le seuil se montre meilleur psychologue que l'incrédule ; car ce « présage », qui est un acte manqué, témoigne de son désir inconscient que ce projet n'aboutisse pas.

Une approche plus phénoménologique de la superstition a été tentée par K. Zucker. Dans Psychologie de la superstition, il en discerne trois grandes formes, qui peuvent se recouper ou se combiner et qui correspondent, selon lui, à trois attitudes psychiques fondamentales : la superstition magique, la superstition mystique, les pressentiments. La première se manifeste dans la croyance aux charmes, au mauvais œil, aux amulettes et talismans, aux sorciers et aux métamorphoses animales[...]

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Écrit par

  • : docteur en philosophie, attaché de recherche au C.N.R.S.

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La Tireuse de cartes, Lucas de Leyde - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

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