SUPPLÉMENT AU VOYAGE DE BOUGAINVILLE, Denis Diderot Fiche de lecture

Entre novembre 1766 et mars 1769, le navigateur Louis-Antoine de Bougainville effectue un tour du monde qui le mène dans l'archipel océanien. Il fait notamment escale à Tahiti, d'où il ramène un jeune indigène, Aotourou, qui sera exhibé à Paris devant des foules curieuses et présenté au roi Louis XV. De retour en France, Bougainville publie en 1771 son Journal de bord, sous le titre complet de Voyage autour du monde par la frégate du roi La Boudeuse et la flûte L'Étoile en 1766, 1767, 1768 et 1769, qui connaît un immense succès.

Denis Diderot (1713-1784), maître d'œuvre, avec d'Alembert, de L'Encyclopédie, figure centrale du « parti des philosophes », a alors déjà derrière lui une œuvre polygraphique considérable : romans (Les Bijoux indiscrets), contes (Les Deux Amis de Bourbonne), pièces de théâtre (Le Fils naturel), dialogues philosophiques (Le Rêve de d'Alembert), essais (Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient)... Lecteur passionné du Journal de Bougainville, il en publie un compte rendu dans LaCorrespondance littéraire de Grimm, avant d'entreprendre la rédaction d'une suite, ce Supplément au voyage de Bougainville, qui circule dès 1772 dans les milieux philosophiques mais ne sera publié qu'en 1796, à titre posthume.

Un récit à cinq voix

Le dispositif narratif du Supplément peut paraître complexe : il s'agit d'un dialogue entre deux personnages non identifiés, A et B, à propos d'un ouvrage réel, le Journal de voyage de Bougainville, puis d'un autre, imaginaire celui-là, Le Supplément – qui est aussi le titre de l’ouvrage de Diderot – dont deux passages sont reproduits, donnant lieu ensuite à une discussion politico-philosophique.

Le texte est composé de cinq chapitres, qui voient se succéder différents locuteurs.

Dans le chapitre 1, A et B discutent de l'intérêt du Journal autour du monde, de son style ainsi que de la personnalité de son auteur.

Le deuxième chapitre, en forme de mise en abyme, introduit le Supplément, ouvrage non publié mais présent, dont A entreprend de lire un extrait ; il s’agit du discours d'un vieux Tahitien s'adressant à la fois à son peuple et à Bougainville pour reprocher à ce dernier, qui s'apprête à quitter l'île, d'avoir voulu imposer sa culture, et l'adjurer de laisser les siens vivre en paix selon leurs coutumes.

Après un bref retour au dialogue entre A et B, le chapitre 3 rapporte cette fois un entretien entre l'aumônier de l'expédition et un jeune Tahitien, nommé Orou. Celui-ci offre au religieux de le nourrir et de le loger, mais aussi de choisir, pour partager sa couche, entre sa femme et ses filles. L'aumônier commence par décliner la proposition, puis finit par céder. S'ensuit le lendemain une discussion au cours de laquelle chacun décrit et vante les mœurs de sa propre société.

La lecture est interrompue par une digression sur la condition des femmes : B lit le plaidoyer poignant d'une fille de Boston, Polly Baker, au tribunal où elle est jugée pour avoir mis au monde cinq enfants en dehors du mariage.

Puis le dialogue reprend entre l'aumônier et Orou, ce dernier s'efforçant de démontrer à son interlocuteur que la religion et, plus largement, les codes en vigueur en Europe sont contraires aux lois naturelles et favorisent le vice.

Enfin, dans le dernier chapitre, A et B, tirant les enseignements de ces différents témoignages, réfléchissent à la coexistence des trois lois en partie contradictoires qui régissent les sociétés européennes – naturelle, civile, religieuse. Tout en semblant accorder la prééminence à la première, ils s'interrogent sur la position à adopter.