SUPPORTS / SURFACES
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Une des dernières avant-gardes abstraites en France – si l'on considère que le temps des regroupements militants d'artistes, autour d'un corps de doctrine et d'une stratégie de conquête, est désormais révolu – s'est dotée d'un nom qui évoque plutôt, à l’oreille inaccoutumée, la rénovation dans le BTP : Supports/Surfaces.
Le peintre Vincent Bioulès (né en 1938) se trouve avoir été, un soir de 1970, l'inventeur de cette formule, dont la singularité n'était pas dépourvue de vertus publicitaires, et qui passa rapidement dans l’usage. Les deux mots étaient en principe au pluriel, et séparés par cette barre oblique que la revue Tel Quel et les écrits de Roland Barthes avaient acclimatée dans la rhétorique de l'époque. Mais la première exposition organisée sous ce label – elle a regroupé, du 23 septembre au 15 octobre 1970, à l'ARC-musée d'Art moderne de la Ville de Paris, les œuvres de Vincent Bioulès, Marc Devade (1943-1983), Daniel Dezeuze (né en 1942), Patrick Saytour (1935-2023), André Valensi (1947-1999) et Claude Viallat (né en 1936) – s’intitulait support-surface, au singulier, avec un trait d'union et sans majuscules. On ne s’étonnera donc pas de trouver, dans l’abondante littérature sur le sujet, diverses versions. Cela ne change pas grand-chose quant au fond, et l'intitulé, dans sa sécheresse, exprime assez bien le contexte qui l’a vu naître.
Inspiration américaine et cadre théorique
Dans les années 1960, la scène abstraite en France était encore dominée par une École de Paris vieillissante, académisée, incapable de répondre aux attentes d’une nouvelle génération d’artistes. Ils se tournèrent, assez naturellement, vers d’autres horizons : celui de la peinture américaine en particulier (Barnett Newman, Ad Reinhardt, Ellsworth Kelly), que le critique Marcelin Pleynet s’appliquait alors à faire mieux connaître en France. Les grands formats – la distorsion propre à la reproduction imprimée les faisait parfois imaginer immenses – et les aplats de couleur, caractéristiques des productions d’outre-Atlantique, tranchaient indiscutablement avec le style feutré dominant l’abstraction française.
Mais au surplus, les thèses de Clement Greenberg, promoteur de l’expressionnisme abstrait, fournissaient à la peinture abstraite un cadre théorique renouvelé. Les jeunes peintres français se reconnurent volontiers dans une synthèse un peu rapide des travaux du grand critique américain – connus surtout par ouï-dire – et dans l'idée que la peinture, débarrassée par la modernité des tâches qui avaient été les siennes autrefois (raconter des histoires, véhiculer des messages), devait se retourner sur elle-même, mettre en exergue ou en valeur les éléments qui, en elle, sont irréductibles à toute autre pratique artistique.
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Écrit par
- Didier SEMIN : professeur à l'École nationale supérieure des beaux-arts de Paris
Classification
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