SUPRACONDUCTIVITÉ
La recherche de matériaux à haute température critique
Depuis la découverte de la supraconductivité, la quête des physiciens et des chimistes du solide a été d’augmenter la température critique (TC) de matériaux, avec le rêve d’atteindre un jour la température ambiante, ce qui donnerait accès à un grand nombre d’applications. Un effort considérable a été fait par les spécialistes des matériaux. Bernd T. Mathias, de l’université de Californie à San Diego, chercha des métaux où la densité d’états au niveau de Fermi est très élevée. C’est le cas en particulier pour le nobium (Nb) et de ses composés, d’où l’utilisation des composés intermétalliques (CIM) de type A15 (NbTi, NbSn, NbGe…), avec un record de TC = 23 K, dans les années 1960. Puis une longue période de vingt-cinq ans sans progrès notable conduisit la plupart des physiciens à penser que le palier théorique des 30 K ne pourrait être dépassé.
Dans les années 1980, Bernard Raveau et ses collaborateurs de l’université de Caen eurent l’idée de synthétiser des oxydes métalliques de type perovskiste, contenant du cuivre, d’où leur nom de cuprates. Ces cristaux ont une structure contenant des plans CuO2. Le cuivre est un métal à valence mixte, on le trouve sous forme d’ions Cu++ et Cu+++. En changeant les 2+ et 3+ dans les plans CuO2, on crée des places libres pour les électrons ou trous et, lorsque ces trous sont en nombre suffisant, les plans deviennent des conducteurs métalliques. B. Raveau étudia les composés LaSrCu2O4 et LaBaCu2O4, où le changement de valence du cuivre peut être obtenu en variant la proportion de La et Sr ou La et Ba. S’il obtint bien des cristaux métalliques, le chercheur n’observa pas la supraconductivité de ces matériaux, puisqu’il ne prit pas de mesures à basse température. C’est en 1986 que Johannes G. Bednorz et K. Alex Müller à Zurich en 1986 réalisèrent les premiers cette observation : la supraconductivité dans des cristaux de La-Ba-Cu-O fut mise en évidence avec une Tc de 35 K. Une formidable vague d’enthousiasme submergea alors la communauté « supra », et l’évolution des températures critiques obtenues au cours des années suivantes illustre bien les progrès réalisés. Le cuprate le plus utilisé est Y1Ba2Cu3O7. La conductivité dans les plans CuO2 est obtenue par un déficit en oxygène δ. La formule chimique devient : Y1Ba2Cu3O7-δ. Quand δ = 1, le cristal est isolant et antiferromagnétique. Pour δ < 0,65, il devient métallique et supraconducteur. La température critique varie avec le dopage δ. Elle passe par un maximum de 93 K pour une concentration en trous de 0,15.La découverte de ces nouveaux supraconducteurs a suscité un effort théorique considérable pour comprendre leurs propriétés remarquables. Pierre-Gilles de Gennes écrit en 1989 : « Du côté de la théorie, il y avait un dangereux sentiment de confort ; tout s’ajustait bien à l’exception de quelques cas difficiles comme les systèmes à fermions lourds, où de nombreuses instabilités étaient en compétition. Il y a trois ans, ce sentiment de confort a été bousculé, lorsque les systèmes à base de cuprate ont provoqué une nouvelle vague d’enthousiasme chez les chercheurs en matériaux. Parmi les vingt (ou plus) modèles théoriques proposés, la plupart (y compris le mien) se sont effondrés à une vitesse étonnante et ceux qui résistent à la critique ne sont pas nécessairement les plus excitants. »
Ces matériaux non dopés sont des isolants antiferromagnétiques. Le magnétisme joue donc un rôle important et plusieurs théoriciens ont développé des modèles où l’interaction électron-fluctuations antiferromagnétiques serait à l’origine de la formation des paires de Cooper. D’autres modèles maintiennent l’interaction électron-phonon. Quelques faits sont incontestables. Le premier est que ce sont des matériaux quasi-bidimensionnels[...]
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Écrit par
- Julien BOK : ancien directeur du laboratoire de physique de l'École normale supérieure
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