SUPRÉMATISME
À la recherche de l'infini
La première rétrospective moscovite de Malevitch en 1917 annonce la fin de l'étape d'euphorie coloriste. Avec l'apparition du Rectangle jaune disparaissant dans l'infini (toile de 1917) commence la période de recherches mystiques. Pendant deux ans, elles resteront purement picturales, pour rejoindre à partir de 1920 le domaine de la symbolique religieuse. À cette date, le suprématisme a épuisé ses possibilités d'exploration plastique. Le seul prolongement du suprématisme se situe dans la théorie de l'unisme, où son élève polonais W. Strzeminski (1893-1952) s'aventure à la recherche d'une symbolique panthéiste (non objective). Le mythe d'Icare, sous-jacent chez Malevitch dès 1913, trouvera ici son épilogue.
Affrontant une vive opposition matérialiste de ses anciens disciples (y compris son meilleur ami, Kljun) devenus constructivistes en 1918, Malevitch se retranche dans la recherche d'une symbolique de la couleur non objective (pure). Une nouvelle série de blanc sur blanc débute de nouveau avec un carré (Blanc sur fond blanc). À l'opposé d'une conception « minimaliste » qui lui est attribuée plus tard, Malevitch va doter ses tableaux d'une signification métaphysique de la couleur pure et de l'infini du blanc (frontière spirituelle indéterminable par excellence), couleur limite, couleur infinie. Un nouveau texte, Création non objective et suprématisme (Vitebsk, 1919), explicite la tendance panthéiste du mysticisme de l'artiste. Aux violentes accusations d'idéalisme, le théoricien répond par un élargissement de l'argumentation spiritualiste et entraîne le suprématisme vers le champ d'une symbolique mystico-religieuse qui s'affirme en 1920 dans une série de tableaux où la croix retrouve sa valeur de symbole religieux. Ses réflexions antimatérialistes seront formulées en 1922 dans le dernier texte important de sa vie, Dieu n'est pas déchu. L'art, le sanctuaire, l'usine (Vitebsk, 1922). À l'intérieur d'une structure trinitaire qui n'est pas sans rappeler la division spirituelle de la religion chrétienne (père, fils, esprit), Malevitch affirme le stimulus de la force de subjectivité, qui refuse de se soumettre au jugement de la raison. Dans ce système de l'illimité, « l'homme est cosmos et Hercule ». Persécuté pour sa croyance spiritualiste, Malevitch se renferma dans ses convictions mystiques pour incarner, vers la fin de sa vie, le mythe tolstoïen de l'idéal panthéiste ; son enterrement ressembla curieusement à l'exécution d'un rituel religieux : la disparition du prophète illuminé.
Malevitch avait affronté avec courage la dure réalité sociale qui suivit la révolution d'Octobre. Dès 1919, il enseigne aux Ateliers libres de Vitebsk, où sera créé le seul vrai noyau suprématiste comprenant ses élèves et ses deux assistants les plus attachés à la doctrine du suprématisme, I. Tchachnik (1902-1929) et N. Souetin (1897-1954). Ils suivront Malevitch à Leningrad en 1922 pour appliquer le style suprématiste à la décoration de céramiques.
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Écrit par
- Andréi NAKOV : docteur en histoire de l'art
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