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SUR LA ROUTE, Jack Kerouac Fiche de lecture

L'œuvre phare de la « beat generation »

Avec Sur la route, Kerouac abandonne le roman traditionnel pour forger un récit « vigoureux, inconstant, spontané, toqué, idiot et saint ». Il ne médite pas sur les significations du récit, il est bel et bien à l'intérieur : en se peignant sous les traits de Sal Paradise et en individualisant sa propre perspective, il lui devient plus facile d'évoquer des protagonistes comme Dean Moriarty, qui incarne le mieux l'esprit du mouvement « beat ». Kerouac déclare « exprimer plus librement des impressions hautement personnelles [...] dans un roman individualiste moderne ». Et il ajoute : « Mon œuvre, comme celle de Proust, ne comprend qu'un livre unique aux vastes dimensions. »

Ce récit personnel, gribouillé en hâte et prétendument non corrigé, rejette l'appareil grammatical pour créer, en suivant l'association libre, comme dans une demi-transe, « une forme visuelle » d'une spontanéité analogue à celle de la vie. Mais il lui arrive aussi de tomber dans la complaisance et des déclarations littéraires qui suscitent l'ennui.

Tel qu'il est, ce roman a lancé le terme de « beat generation », que John Clellon Holmes avait défini cinq ans auparavant. Être « beat » c'est d'abord être battu, vaincu et usé par la société ; c'est ensuite être « pauvre en esprit », le dos au mur contre soi-même. Puis, en réaction à cette défaite existentielle, c'est rechercher la béatitude individualiste moderne – le plus souvent à travers la drogue, ou l'extase. Celle-ci revêt un caractère religieux – dharma indien ou satori japonais – qui se précisera dans Les Clochards célestes (1958) et Satori à Paris (1966).

Enfin, pour exprimer des sensations proprement personnelles, le « barde du be-bop » expérimente une forme qui rend au récit la « spontanéité » du jazz, par l'explosion de la phrase et la seule ponctuation du tiret, de manière à isoler les moments respiratoires « comme les musiciens reprennent leur souffle après de longues phrases ». Il faut souffler, comme on souffle dans une trompette, sans s'arrêter sur les mots : « Ne pas chercher le mot juste, mais un entassement enfantin de constructions verbales scatologiques. »

Le roman devient un « livre-film ; un film de mots, voilà la forme américaine de la vision ». Le récit linéaire éclate en une multitude d'images et de sensations s'écoulant librement. Kerouac refuse en effet de voir dans le roman une entité séparée qui se refermerait sur un sens autonome.

Malgré sa violence, surtout verbale, le « beat » ne s'en prend pas à la civilisation mais à la destruction de la joie, de la tendresse et de la spiritualité dans la vie américaine. Il s'insurge contre « la déification de rangées de maisons luxueuses avec télévision et pelouses où chacun regarde et pense la même chose au même moment ».

— Michel FABRE

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Média

Jack Kerouac - crédits : Bettman/ Getty Images

Jack Kerouac

Autres références

  • CASSADY CAROLYN (1923-2013)

    • Écrit par
    • 271 mots

    Ex-femme de Neal Cassady, figure tutélaire de la beat generation, Carolyn Cassady relata son expérience du mouvement beat des années 1950 et 1960 et son mariage (1948-1963) peu conventionnel avec l’inspirateur du groupe.

    Carolyn Elizabeth Robinson naît le 28 avril 1923, à Lansing (Michigan). Elle...

  • KEROUAC JACK (1922-1969)

    • Écrit par
    • 2 127 mots
    • 1 média
    Sur la route(achevé en 1951, le livre ne sera publié qu'en 1957) est la chronique à la fois « sur le vif » et nostalgiquement remémorée des grands moments de cette « chevauchée sauvage ». Cela commence à Long Island alors que Kerouac, dans la bruine d'hiver, songe au voyage qu'il va entreprendre l'été...