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SUR LES FALAISES DE MARBRE, Ernst Jünger Fiche de lecture

Ernst Jünger (1895-1998) rapporte qu'il a entrepris le bref roman Sur les falaises de marbre à la suite d'un rêve, en février 1939, alors qu'il vivait à Ueberlingen, près du lac de Constance, dans la douceur du pays souabe. Il l'a terminé le 18 juillet 1939 dans son nouveau domicile de Kirchhorst, près de Hanovre, au climat plus rude.

Le récit se déroule à une époque indéterminée. Un narrateur anonyme relate les mésaventures qui l'ont poussé, en compagnie de son frère Othon, à fuir sa patrie d'adoption, bordée par une mer, la Marina. Sur la côte d'en face, un territoire nommé Plana-Alta. Sur son arrière, la Marina jouxte, avec des falaises de marbre pour frontière, une contrée baptisée la Campagna, elle-même prolongée par la Maurétanie.

De la forêt à la mer : une géographie de l'âme

Ces quatre États, Jünger les a imaginés, sans préciser d'emblée les particularités de chacun d'eux. Elles sont à glaner au fil du livre. Plana-Alta apparaît comme une haute vallée où s'est regroupée une communauté rurale, vivant dans un régime de tradition patriarcale. La Campagna héberge une population de bergers organisée en clans. La Maurétanie, domaine de forêts impénétrables, abrite des marginaux en tous genres. Il y règne un vieillard rusé, pragmatique, aimant la bonne chère, exerçant son autorité davantage par la séduction que par la tyrannie : le grand Forestier. Quant à la Marina, c'est un État urbanisé, qui favorise l'épanouissement intellectuel de ses citoyens.

Presque à la moitié de son récit, le narrateur révèle que la Marina s'est alliée à la Maurétanie, voilà sept ans, pour mener la guerre contre Plana-Alta. Rien n'explique pourquoi. Guerre inutile, – elle n'a pas abouti à l'écrasement de Plana-Alta – mais qui n'a pas été, toutefois, sans conséquences pour la Marina, dans la mesure où elle a ouvert la porte au désordre politique. Depuis lors, la police et l'armée, qui devraient garantir la sécurité du pays, ne sont plus représentées que par des mercenaires.

Les deux frères ont participé à l'agression contre Plana-Alta au côté du grand Forestier. À leur retour, persuadés que toute violence était vaine, ils se sont retirés, à la Marina, dans un ermitage adossé aux falaises de marbre. Là ils passent leur temps à jouir, en herboristes, de cette région de vignobles, ainsi qu'à lire et à méditer. Avec eux habitent une vieille femme qui leur sert de cuisinière, et l'enfant que le narrateur a eu de sa fille, bizarrement disparue en compagnie d'étrangers. Leur seul ami, à proximité, est un moine chrétien, l'incarnation même de la tolérance.

Parallèlement à cette accumulation d'éléments et de personnages qu'il laisse entourés d'un halo de mystère, Jünger a construit son roman sur des symboles. La figure lointaine du grand Forestier, au fond de bois maléfiques, est tout particulièrement suggestive : elle symbolise une forme extrême d'anarchie se manifestant par une terreur systématique. La décadence de la Marina finit par lui être une occasion propice. Appuyées sur des dogues en « meutes rouges », ses hordes se lancent dans une destruction « démoniaque ».

Le narrateur et son frère Othon sont alors les seuls à trouver refuge dans les « hautes demeures » de Plana-Alta, qu'ils gagnent par bateau. Ils sont les gardiens, capables de le revivifier en de meilleures circonstances, du souffle spirituel qui est l'apanage de la Marina. Dans les dernières lignes du roman, le narrateur compare leur salut au retour du fils prodigue dans la « Maison du Père ». Ce qui laisse entendre qu'ils ont parcouru sur terre un chemin initiatique pour accéder à une vérité supérieure qui, en comparaison, leur rend insignifiants les événements d'ici-bas.

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  • JÜNGER ERNST (1895-1998)

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